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j’ai pu suivre, au lever du jour, toutes les phases de l’éclosion. Chaque coque est fermée par un couvercle admirablement adapté ; six ou sept jeunes, réunissant leurs efforts, le font sauter, en le projetant parfois à plusieurs centimètres ; et cependant ils ne peuvent faire usage des outils que la nature mettra plus tard à leur service : mandibules tranchantes, pattes robustes garnies d’épines et terminées par de forts crochets ; ils sont encore soigneusement emmaillotés.

« Si on les examine attentivement, on reconnaît qu’ils ont la faculté de faire saillir de la région dorsale, entre la tête et le prothorax, une ampoule qu’ils gonflent ou rétractent à leur guise ; c’est à l’aide de cette ampoule cervicale qu’ils soulèvent la porte de leur demeure. Mais là ne s’arrête pas le rôle de cet appareil ; il leur fournit le moyen de renverser les obstacles qui s’opposent à leur passage pour arriver au jour ; bien plus, il leur permet de modifier à leur gré le volume de chacune des régions du corps, et, de la sorte, leur donne la facilité de passer à travers les fissures du sol les plus étroites, de sortir de leurs coques ovigères, au couvercle obturé, par une fente que l’on dirait faite au canif, de s’échapper des boîtes par des trous imperceptibles.

« Le rôle de l’ampoule cervicale est encore plus important : aussitôt qu’ils sont parvenus à la lumière, les jeunes acridiens muent ; c’est en gonflant l’ampoule qu’ils rompent la membrane qui les enveloppe, et c’est en emmagasinant le sang dans sa cavité qu’ils diminuent les autres parties du corps et détachent cette membrane ou amnios ; les mouvemens de contraction des muscles achèvent de la conduire à l’extrémité du corps. Ainsi délivrés, les jeunes acridiens peuvent alors faire usage de leurs membres pour la marche, le saut ; ils ont la libre disposition de leurs antennes et de leurs pièces buccales. »

Rentré en France, M. Künckel d’Herculais se préoccupa de savoir si les faits qu’il avait observés étaient consignés dans les beaux travaux des naturalistes américains sur les acridiens ravageurs des États-Unis. Il s’assura que l’un d’eux, M. Riley, dans les différentes descriptions qu’il donne du processus de l’éclosion, ne signale pas l’ampoule cervicale, et par conséquent ne parle pas de ses importantes et multiples fonctions ; pour lui, ce sont les pattes qui jouent le principal rôle[1]. Un autre savant, de même nationalité, M. Packard, a vu le gonflement et l’expansion de la membrane unissant la tête et le prothorax ; mais s’il lui attribue la faculté de rompre la coque de l’œuf et l’amnios, il

  1. Ch. V. Riley, Ninth animal Report of the noxious, beneficial and other Insects of the state of Missouri. Jefferson City, 1877.