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recueillirent pieusement la légende et nous l’ont répétée ; ceux qui, témoins des invasions, furent en situation de faire des observations, la reproduisirent, en lui octroyant un véritable caractère d’authenticité.

Lorsque, le 10 mai 1891, à la Société d’agriculture d’Alger, M. Künckel d’Herculais annonça d’abord que, contrairement à l’opinion accréditée, les criquets pèlerins ne mouraient pas après la ponte, qu’ils s’appariaient et s’accouplaient de nouveau, et en second lieu, que les femelles, un certain temps écoulé, étaient susceptibles d’effectuer une nouvelle ponte, l’éminent naturaliste rencontra bien des sceptiques ; cependant, les criquets capturés à Biskra par lui le 26 mars, appariés et accouplés nombre de fois, avaient l’ail une première ponte le 26 avril, puis avaient déposé dans la terre une seconde ponte le 14 mai, c’est-à-dire au bout de dix-huit jours. Lorsque, le 18 septembre 1891, dans un congrès tenu à Marseille par l’Association française pour l’avancement des sciences, le même savant fit connaître que ces mêmes femelles avaient enfoui dans le sol quatre pontes séparées par des intervalles de quinze, dix-huit ou vingt jours, ceux qui avaient révoqué en doute la vérité de ses assertions, commencèrent alors à se dire qu’il pouvait avoir raison. On s’effraya toutefois en pensant que ses observations, bouleversant toutes les idées reçues, montraient que ce n’était plus 50, 60, 70, 80 à 99 œufs qu’une femelle déposait en terre, mais que c’était le double, le triple, le quadruple même.

Cette découverte, il faut en convenir, ne laisse pas d’être des plus inquiétantes, car elle prouve que certaines femelles, dans l’espace de sept mois, peuvent déposer dans le sol huit, neuf, et jusqu’à onze pontes. Ce sont bien en effet les innombrables légions d’un Dieu suprême, comme dit Mahomet ; heureusement que ce même Dieu, ainsi qu’on le verra un peu plus loin, nous a fourni les moyens de les combattre.


IV

Nous connaissons la façon originale dont les pontes des acridiens sont« plantées » dans la terre, selon le dire des Arabes. Non moins curieux est le mécanisme physiologique de leur éclosion, des mues et des métamorphoses.

Laissons encore parler M. d’Herculais.

« Je me suis attaché tout d’abord, nous dit-il, à observer la sortie des jeunes stauronotes de leurs cocons, ou plutôt de leur coque ovigère ; pour cela, isolant celle-ci dans des tubes de verre,