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Taverny, abandonnant sa respectabilité laborieusement gagnée pour recommencer à courir le monde où l’on s’amuse ; et son machiavélisme cynique, aussi bien que, dans la Contagion, celui de Navarette, dénonce, chez le moraliste, une singulière inexpérience. C’est trop uniformément parfait d’abjection ; c’est trop beau. On sent le caractère composé d’après un type conventionnel et idéal ; comme étude de mœurs, cela vaut ce que valaient les personnages sommairement dessinés dont usait la commedia dell’arte : le mari toujours vieux, jaloux et ridicule, l’amant toujours séduisant et jeune, la femme toujours menteuse et coquette.

Mais, à cause même de sa faiblesse, on comprend combien cette psychologie devait réussir devant un public d’intelligence peu complexe, et déjà convaincu, dans son ensemble, de ce dont on le convainquait à grand renfort d’argumens. Sans troubler les opinions établies de personne, quelques expressions avaient « l’air d’une pensée », et donnaient à ces conceptions banales une apparence d’originalité et de profondeur : « Mettez un canard sur un lac au milieu des cygnes, vous verrez qu’il regrettera sa mare et finira par y retourner : la nostalgie de la boue[1]. » - « Après avoir racheté pour quelque cent mille francs d’anges déchus, je me suis aperçu que les vierges folles sont encore moins folles que vierges, si c’est possible[2]. » - « Tu descends à la courtisane, c’est-à-dire au mépris de l’amour… Du mépris de l’amour au mépris du mariage, il n’y a qu’un pas[3]. » L’antithèse, comme dans la dernière citation, peut être complètement vide de sens ; elle n’en sonne pas moins bien.

Après le financier, après la courtisane, aucun des poncifs de théâtre, rajeunis par quelques nuances de modernisme qui suffisent à l’illusion, ne nous sera épargné. Nous aurons l’ingénue à la manière de Scribe, toute de chasteté : Geneviève du Mariage d’Olympe, Aline de la Contagion, Camille de Paul Forestier, dont l’innocence, du reste, paraît souvent un pur artifice scénique destiné à mettre en relief l’infamie des irrégulières ; quand le besoin de contraste ne se fait pas sentir, les jeunes filles d’Émile Augier, ainsi que l’a très justement remarqué M. Léopold Lacour[4], ressemblent en effet, avec leur honnêteté savante et pratique, plutôt à des jeunes femmes.

Nous aurons le vieux gentilhomme qui « n’est pas de ce temps-ci », tout de chevalerie et d’honneur : le marquis de Puygiron,

  1. Le Mariage d’Olympe, acte I, sc. I.
  2. Le Post-scriptum, sc. I.
  3. Jean de Thommeray, acte III, sc. IV.
  4. Léopold Lacour, Trois Théâtres, p. 75.