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une solution équitable quand il s’agissait d’additions de lignes nouvelles, par exemple, ou de travaux extraordinaires, — on a prétendu leur imposer des modifications profondes à leur contrat, qui en altéraient complètement l’esprit et menaçaient la situation des actionnaires. Cette conduite arrogante et prépotente de la part de l’Etat est aussi imprévoyante qu’inique. Si le gouvernement ne respecte pas les contrats qu’il a signés, s’il s’attribue le droit de les changer par la force, quand ils se révèlent comme désavantageux, toute entreprise nouvelle, surtout aux colonies, est impossible.

Les capitaux que l’on expose dans des œuvres d’utilité publique ou privée, en plein pays neuf ou barbare, sont soumis à des aléas si nombreux et si intenses que toutes les personnes qui n’ont pas, à un assez haut degré, l’esprit d’aventure et de lucre s’abstiennent systématiquement de ce genre de placemens. Si l’Etat vient encore détruire l’équilibre naturel entre les bonnes et les mauvaises chances, en prétendant s’attribuer en partie le bénéfice des premières, quand par hasard elles se rencontrent, les motifs qui portent certains capitalistes aux entreprises lointaines et coloniales disparaissent absolument. Il faut laisser à ceux qui s’engagent dans ces emplois hasardeux de capitaux la plénitude des bonnes chances, et si le succès se manifeste, éclatant une fois, entre dix ou cent échecs, ne pas venir chicanera ces aventuriers heureux la plénitude des résultats favorables qui leur échoient.

Nous devons en prendre notre parti : les colonies ont toujours dû leur fondation et aussi leur prospérité première à des aventuriers : Cortez et Pizarre, comme Stanley et Cecil Rhodes, même Raleigh et Penn, comptent parmi les aventuriers. Un biographe de Raleigh résume ainsi sa vie : « Il se montra insatiable de places, de dignités et de richesses ; mais en même temps il avait le génie et les sentimens d’un héros. » Croire à la modération des désirs, au désintéressement démocratique, des hommes qui vont conquérir et défricher des continens nouveaux et qui y jettent les fondations d’immenses empires, c’est d’une inexprimable naïveté. Il n’est pas jusqu’à Colomb, dont la postérité pieuse a transfiguré les traits, qui n’ait stipulé à son profit d’énormes avantages pour les terres qu’il découvrirait. Les commerçans, les capitalistes, les amorceurs de trafic Jet de civilisation qui, non seulement au XVIe, mais au XVIIe siècle, nouèrent les premiers des relations ou qui les développèrent, quand elles n’étaient qu’en embryon, avec les pays barbares ou sauvages d’Orient et d’Occident, furent longtemps appelés, dans la Grande-Bretagne, merchants aventurers, les marchands aventuriers. Vouloir