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on avait des soldats, hommes faits et vigoureux, sous les drapeaux. Aujourd’hui, par une pudeur, dont la source sans doute est louable, mais dont les résultats sont funestes, on appréhende de remettre à l’engagé volontaire une forte somme lors de son engagement ; on la lui inscrit sur un livret de caisse d’épargne dont le montant lui sera remis à sa sortie. Cette méthode est, certes, vertueuse, mais dénuée de toute efficacité. Si l’on veut que les engagemens volontaires affluent pour l’armée coloniale, il faut que, sur la prime d’engagement de mille à mille deux cents francs ou mille cinq cents francs, supposons-nous, pour un service de cinq à sept ans, la moitié soit offerte en paiement immédiat à l’engagé avec faculté pour lui d’en disposer à son gré. Dans ces conditions, on retrouverait les soixante mille remplaçons du second empire, et l’on n’a besoin que du tiers ou du quart de ce nombre.

Pour ce qui concerne les auxiliaires Kabyles, Arabes, Sénégalais, Haoussas, Dahoméens, Comorriens, Annamites, il importe ainsi que le service militaire soit strictement professionnel, avec des primes d’engagement qui peuvent être assez modiques et des pensions légères après quinze ou vingt ans de service. Ce système fortifierait considérablement notre situation dans nos diverses colonies et y rendrait beaucoup moins fréquentes les insurrections et les émeutes. Nous nous sommes avisés d’introduire dans diverses de nos dépendances le service militaire obligatoire pour les indigènes, en Tunisie par exemple ; au Tonkin, nous avons imposé une sorte de service de garde nationale ; c’est agir avec la plus grande imprévoyance. Nous n’avons aucun intérêt à apprendre le maniement des armes et la discipline à toute la population ; au contraire, c’est la mécontenter dans le présent et nous affaiblir en cas d’insurrection. Il faut, dans toutes nos colonies, n’imposer à personne le service militaire, mais faire de la situation de soldat un métier permanent, qu’embrasseront les hommes qui en auront le goût : en leur accordant quelques primes, quelques distinctions et quelques légères pensions, au bout d’un long temps de service, ces gens-là nous seront tous dévoués, ils craindront que la domination française ne disparaisse ; ils formeront un noyau actif pour nous soutenir.

La future armée coloniale doit donc être une armée strictement professionnelle. Divers projets ou propositions de loi s’écartent de ce principe et admettent que l’on pourra continuer à puiser dans le contingent annuel ; ce serait une énorme erreur ; il n’y a d’armée coloniale réelle que celle qui se recrute uniquement par engagemens volontaires, et à la condition d’offrir des