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et les territoires où ils la laissaient subsister, ils les ont simplement déclarés possessions néerlandaises ou possessions britanniques. Ni le Kachmir, ni quelque autre partie de l’Inde où règne soit un maharajah, soit un prince feudataire, ne diffère aucunement au point de vue diplomatique, au point de vue de l’acte civil public, si nous pouvons ainsi parler, de la province de Madras ou de celle de Bombay.

Malheureusement, depuis notre occupation de la Tunisie, le mot de protectorat, dont il a été fait alors, si nous ne nous trompons, le premier usage dans la langue diplomatique et internationale, a pris un sens des plus confus. Il n’a pas de signification définie, il ne crée pas un titre de propriété clair, indiscutable et absolu ; il prête à des contestations sur une foule de points. J’ai, quant à moi, dès la première heure, désapprouvé le traité du Bardo et montré les difficultés incessantes qui en devaient découler. Nous avons, certes, bien fait de maintenir le bey, le premier ministre, le « ministre de la plume », les caïds et les khalifas. Nous avons constitué, au point de vue intérieur, un régime d’administration assez efficace, simple et peu coûteux. La colonisation française a pu s’établir en Tunisie et, sinon s’y épanouir aussi brillamment que le croit le public en général, du moins y prendre quelques développemens. Mais, il ne faut pas s’y méprendre, tous ceux qui connaissent ce pays savent que la colonie française y est très inquiète, qu’elle se trouve dans une situation très précaire, qu’elle est entravée et quasi arrêtée par les nombreuses servitudes qui grèvent la Tunisie au profil des étrangers et qui ont leur origine dans le titre confus de possession et non de propriété que nous crée le protectorat. Tous les colons qui sont venus dans ce pays au lendemain de notre occupation, c’est-à-dire de 1881 à 1885, ne se doutaient pas du régime auquel ils allaient être soumis, par les douanes notamment, soit pour l’importation des articles français qui leur devaient être nécessaires, soit pour l’exportation en France de leurs propres produits. Ce fut pour eux une douloureuse stupéfaction quand, au moment où leurs exploitations, par exemple leurs vignobles, arrivèrent à la période de production, vers 1887 et 1888, ils apprirent que les produits tunisiens ne pourraient pas entrer en franchise en France, qu’ils étaient assujettis à notre tarif général, encore plus dur à cette époque que le tarif conventionnel qui régissait l’importation sur notre marché des produits similaires espagnols et italiens.

M. Ribot, dans son passage au ministère des affaires étrangères, trouva, en 1890, un procédé pour atténuer les conséquences