Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Toutes ces colonies dont on fait ainsi provision à l’envi, qu’en fera-t-on ? Si l’on a de la persévérance et de l’habileté, on en fera avec le temps, suivant qu’il s’agit de colonies de peuplement dans les climats tempérés ou de colonies d’exploitation dans les climats tropicaux ou équatoriaux, ce que les générations précédentes, disposant de beaucoup moins de moyens, ont fait des deux Amériques, de l’Australie, des Indes anglaises ou des Indes néerlandaises, c’est-à-dire une source merveilleuse de richesse pour l’Europe et d’amélioration des conditions d’existence du genre humain tout entier[1].

Par une rare bonne fortune, en ce qui nous concerne, les terres que les nations européennes se partagent aujourd’hui ne peuvent pas, sauf l’exception de quelques points, devenir des colonies de peuplement ; nous n’aurions guère la matière première à cet usage, qui est un excédent de population. Mais elles s’annoncent comme pouvant constituer de fort bonnes colonies d’exploitation, c’est-à-dire des colonies où les capitaux, l’esprit d’organisation et de combinaison et les capacités techniques du peuple colonisateur peuvent faire épanouir une production abondante, à la place de la stérilité actuelle. Les capitaux, on ne pourra prétendre que nous n’en possédons pas ; quoique la puissance d’épargne se soit peut-être un peu affaiblie chez elle depuis vingt ans, la France reste encore l’une des plus grandes fabriques de capitaux qui soient au monde. L’esprit d’organisation et de combinaison, nous en sommes un peu moins doués peut-être que certains autres peuples, mais il ne nous fait pas défaut. Les capacités techniques, elles abondent sur notre sol, et beaucoup n’y trouvent pas un emploi rémunérateur ; depuis que l’on a prodigué l’instruction, la question que posait déjà Proudhon, il y a cinquante ans, prend une actualité saisissante : si vous formez 500 000 capacités techniques par an, qu’en ferez-vous ? Ainsi, ces trois facteurs des colonies d’exploitation, les capitaux, l’esprit d’organisation et de combinaison, les capacités techniques, on peut espérer, sinon absolument compter, qu’ils ne nous manqueront pas dans la nouvelle carrière coloniale où nous sommes entrés depuis une vingtaine d’années.

Les terres non plus et les ressources naturelles à mettre en œuvre ne nous font pas défaut. Je relève dans un document parlementaire qui, lui-même, emprunte ce renseignement à la publication britannique bien connue, le Statesmans Year Book, que notre domaine colonial africain serait plus vaste que celui de l’Angleterre

  1. Pour les avantages qu’offrent les colonies à la métropole, se reporter à notre Colonisation chez les peuples modernes, 4e édition, 1891.