Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qui est bien, c’est à lui qu’on l’attribue. Par exemple, quelqu’un lit de beaux vers dans une réunion, — on s’imagine qu’il en est l’auteur, — c’est lui qui reçoit les complimens ; ainsi de suite. — Un autre, au contraire, rien ne lui réussit. — Quand il veut mettre un habit, les manches deviennent trop courtes et les basques trop longues. — Dès que je serai debout, j’en ferai un conte. » Il le fit en effet ; mais ce conte, Petit Zachée, est fort médiocre.

Sa plus belle vision n’a jamais été utilisée. C’était un sujet à l’Edgar Poë, et Hoffmann n’était plus en état de le traiter. Le voici, tel qu’il l’avait noté : « Rêve. — La police enlève toutes les horloges publiques et confisque toutes les montres, parce qu’on veut confisquer le temps. La police ne réfléchit pas qu’elle-même n’existe que dans le temps. » Quel beau sujet de conte pour un philosophe !

Les buveurs impénitens n’ont de choix, d’après la médecine, qu’entre la démence et la paralysie. Hoffmann se croyait voué à la démence ; il comptait même écrire un volume où il se montrerait perdant la raison. Ce fut la paralysie qui le happa. Il en fut quitte pour analyser les sensations d’un impotent, et dicta la Fenêtre d’angle du cousin, tableau exact, et très moral, de son état dans les derniers temps. Le « cousin », c’est lui. J’abrège : « Mon pauvre cousin a eu le même sort que le fameux Scarron. Une maladie opiniâtre lui a aussi ôté l’usage de ses jambes. Il en est réduit à rouler de son lit à son fauteuil, et de son fauteuil à son lit, avec l’aide du bras vigoureux d’un invalide maussade qui lui sert de garde-malade. Mon cousin a une autre ressemblance avec Scarron. Il est aussi auteur. Il a aussi beaucoup de fantaisie et d’humour, une manière à soi de plaisanter. Le public lit volontiers ses ouvrages ; il paraît que c’est bon et amusant ; moi, je ne m’y connais pas. Cette passion d’écrire a pourtant joué un vilain tour au pauvre cousin. Il a beau être très malade, la roue de l’imagination tourne toujours au galop dans sa tête ; il invente, invente, malgré toutes les souffrances. Mais quand il s’agit de faire prendre aux idées le chemin du papier, le méchant démon de la maladie a barré le passage. Non seulement la main refuse le service, mais les idées s’envolent, ce qui jette le cousin dans la plus noire mélancolie. » Un ami va rendre visite au « cousin ». Il trouve ce pauvre petit sac-à-vin, encore plus ratatiné par la maladie, posé sur un fauteuil parmi des oreillers. L’invalide morose l’avait enveloppé dans une ample robe de chambre rapportée jadis de Varsovie. Il lui avait mis sur la tête un bonnet rouge qui avait vu sauter bien