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procès-verbaux. Au contraire, la Curie était rigoureusement fermée au public ; le sénat ne laissait rien transpirer de ses délibérations que ce qu’il voulait bien en faire savoir. Ce secret était une de ses forces. Les assemblées politiques ne gagnent pas à être regardées de près ; il est difficile de conserver beaucoup de respect, même pour les plus honorables, quand on voit à quelles intrigues elles sont livrées et quels conflits d’intérêts ou de passions s’y dissimulent sous l’apparence du bien public. César pensait qu’on estimerait moins le sénat quand on le connaîtrait mieux ; il voulait lui ôter ce mystère qui créait une sorte de prestige autour de lui ; c’est pour cela qu’il décida que, désormais, « on rédigerait et on publierait » les procès-verbaux de toutes les séances. Par ces deux mots que voulait-il dire ? Le sens du premier ne donne lieu à aucune contestation : on choisissait un sénateur jeune, d’ordinaire un ancien questeur, qui prenait le titre de secrétaire du sénat (ab actis senatus) et il lui était facile de faire son travail avec les notes des sténographes. Quand le procès-verbal était rédigé, on le publiait. Qu’entendait-on par là ? Voulait-on dire seulement qu’il était mis à la disposition du public et qu’on le laissait consulter à ceux qui le demandaient ? Le mot publicare a, je crois, un autre sens. Dans la langue juridique des Romains, un acte était devenu public quand on l’avait affiché à un endroit où d’en bas on pouvait le bien lire, unde de plano recte legi possit. C’est évidemment de cette manière que César fit publier les procès-verbaux du sénat.

Il y avait d’ailleurs à cette façon d’agir un précédent qu’il convient de rappeler. On comprend que Rome, engagée dans ces grandes entreprises qui l’ont rendue maîtresse du monde, ait éprouvé le besoin d’en faire connaître au peuple les résultats. Quand ils étaient heureux, on avait naturellement une très grande hâte de les lui annoncer ; mais on ne les cachait pas non plus quand ils étaient contraires. Tite-Live a raconté d’une manière saisissante comment la défaite de Trasimène fut connue à Rome : il régnait une grande anxiété dans la ville ; déjà commençaient à s’y répandre ces bruits avant-coureurs d’un grand désastre dont j’ai parlé tout à l’heure ; instinctivement toute la foule se réunissait au forum. Quand elle y fut rassemblée, le préteur monta à la tribune et ne dit que ces mots : « Citoyens, nous avons été vaincus dans une grande bataille, pugna magna victi sumus. » Lorsqu’il s’agissait de rencontres de moindre importance, il fallait les faire connaître plus simplement, et voici ce qu’on avait imaginé. Sur le mur de la Regia, où demeurait le grand pontife, on plaçait chaque année une planche soigneusement blanchie qu’on appelait album ; en tête on inscrivait le nom des consuls et des magistrats ;