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dans la galerie du Palais ; devant la porte, les volumes étaient disposés avec goût, nettoyés à la pierre ponce, brillans d’une couche d’huile de cèdre, enroulés autour d’un bâton noir dont les extrémités étaient dorées, avec des bandes de parchemin qui portaient le titre de l’ouvrage. « Je le vois bien, disait Horace à son livre, qui lui semblait trop impatient de paraître, tu veux aller voir le portique de Vertumne ou celui de Janus ; tu meurs d’envie de t’étaler coquettement à la devanture des frères Sosies. » Sur les colonnes ou les pilastres qui encadraient la boutique, les nouveautés étaient annoncées, probablement avec quelques éloges bien sentis. On y lisait même quelquefois des vers, les meilleurs sans doute de l’ouvrage qu’on proposait au public, et qui devaient donner une bonne opinion du reste. Martial prétend qu’on n’avait qu’à se promener pour faire une lecture rapide des poètes du jour.

Voilà quelques-uns des moyens dont usaient les écrivains antiques, en l’absence de la presse, pour se faire connaître au public, et il est certain qu’à Rome, ces moyens étaient tout à fait suffisans. Mais comment s’y prenaient-ils quand il s’agissait de répandre leur nom et leurs livres dans le reste de l’Empire ? C’est en cela surtout que les journaux auraient été utiles. Ils servent aujourd’hui à faire voyager les réputations dans les pays éloignés ; grâce à eux les nouvelles littéraires pénètrent partout, et elles y sont reçues avec d’autant plus d’avidité qu’elles viennent de plus loin. À Paris, on se contente de parcourir le journal, on l’apprend par cœur en province ; là, rien n’échappe à la curiosité du lecteur, il veut savoir le nom de la pièce qu’on applaudit et du livre dont on parle, et c’est ainsi que la littérature se propage du centre aux extrémités. Les Romains, par d’autres procédés, obtenaient à peu près les mêmes résultats que nous. Dans les pays vaincus, la haute société, au contact des personnes distinguées que Rome y envoyait, légats impériaux, officiers supérieurs des légions, percepteurs de l’impôt, avait pris très vite le goût des lettres latines ; les écoles s’établissaient partout, et, avec elles, une passion pour la rhétorique que nous avons peine à comprendre. Tacite raconte que les jeunes provinciaux, qui étudiaient à Rome, avaient grand soin de recueillir les belles phrases qu’ils entendaient dire aux rhéteurs et aux avocats en renom, et les envoyaient dans leur pays, où elles faisaient sans doute l’admiration de tout le monde. Il est probable aussi qu’ils devaient entretenir leurs parens et leurs amis des ouvrages qui venaient de paraître, et leur donner, par les éloges qu’ils en faisaient, le désir de les connaître. — Mais comment pouvait-on se les procurer en province ? Le plus simplement du monde : les libraires de Rome devaient y avoir