Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publicité. C’est par des affiches ou, comme on dit plus souvent, par des inscriptions, que l’autorité faisait savoir ses décisions, que les citoyens témoignaient leur piété pour les dieux, leur dévouement à leurs princes, leur reconnaissance pour leurs bienfaiteurs, qu’enfin les magistrats et les particuliers répandaient dans le public tout ce qu’ils souhaitaient lui communiquer. Voilà pourquoi les inscriptions étaient alors si fréquentes et ce qui explique comment il nous en reste un si grand nombre, quoi qu’il en ait tant péri ; le Corpus inscriptionum latinarum en contient déjà près de 120 000, et il n’est pas fini. Sainte-Beuve avait bien raison de dire : « Le véritable Moniteur des Romains se doit chercher dans les innombrables pages de marbre et de bronze où ils ont gravé leurs lois et leurs victoires. »


II

Mais les affiches ne peuvent pas suffire à tout, et il y a des services qu’elles ne rendent qu’imparfaitement. Pour n’en citer qu’un exemple, je me demande comment, sans autre secours, les réputations littéraires pouvaient se faire et se propager à Rome et dans l’Empire. C’est surtout, à ce qu’il nous semble aujourd’hui, l’affaire de la presse, et voilà plus de deux siècles qu’elle se charge chez nous de cet office. En 1665, un conseiller au Parlement de Paris, Denis de Sallo, créa le Journal des Savans, pour signaler aux curieux, par des extraits ou analyses, les livres importans qui paraissaient dans le monde entier[1]. Puis vint le Mercure, qui s’occupait des ouvrages plus légers. C’est l’aïeul de notre petite presse, et l’on ne peut pas dire qu’elle soit d’hier, puisqu’elle a, tout compte fait, deux cent vingt-trois ans d’existence. Pendant tout le XVIIIe siècle, les journaux et les correspondances n’ont pas cessé de tenir le public français et étranger au courant des nouvelles littéraires. C’est par eux qu’on apprenait qu’une tragédie de Voltaire venait de réussir, qu’on lisait, dans la bonne société, quelque roman sentimental à la façon anglaise, ou qu’il courait quelque écrit piquant sur des matières philosophiques ou religieuses, ce qui donnait l’idée de se les procurer. Il en est à peu près de même aujourd’hui, et quand on voit combien un livre signé d’un nom inconnu, malgré les réclames et les annonces, en dépit du bruit qu’un journalisme complaisant fait autour de lui, a de peine à percer, et comme il lui est difficile d’attirer l’attention publique, on ne comprend pas comment les auteurs anciens pouvaient y arriver sans toutes ces ressources.

  1. Il faut remarquer que le Journal des Savans, ainsi que la Gazette et les Petites Affiches, existent encore.