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le calme, le sang-froid, le respect scrupuleux des procédés légaux. Mais s’il y a eu quelques écarts commis, est-ce donc là un crime impardonnable ? Les agens sont des hommes, comme l’a dit M. Ribot. A voir les passions déchaînées sur les bancs de la Chambre, on peut se faire une idée de celles qui se sont donné carrière à Carmaux. Pendant trois mois, agens administratifs, fonctionnaires et magistrats, ont été soumis au régime d’injures, d’outrages, de calomnies, auquel les ministres à leur tour ont été en butte pendant trois jours. Qu’ils aient quelquefois perdu patience, cela est possible, et même probable. Il faut les avertir sans doute, les remettre dans la voie d’où ils n’auraient pas dû sortir, les réprimander s’il y a lieu, mais seuls M. Jaurès et ses amis peuvent les juger sans excuses. Ce sont en effet M. Jaurès et ses amis qui ont fait dégénérer un conflit originellement peu grave en une lutte politique, où s’agitaient tout ce que les préoccupations électorales apportent avec elles de troubles véhémens et d’âpres colères : si, là aussi, on poursuivait toutes les responsabilités, les leurs seraient les premières en cause.

L’interpellation sur Carmaux était donc bien terminée, et la grève paraissait l’être du même coup : on n’oserait plus répondre qu’elle le soit encore maintenant. Le gouvernement qui avait, au milieu des séances les plus orageuses et les plus passionnées, guidé la majorité jusqu’à son vote final, a été, nous l’avons dit, renversé le surlendemain. Le vote de la Chambre subsiste, et on ne voit pas trop comment il serait possible de l’effacer. Et d’ailleurs, aujourd’hui comme hier, l’arbitrage n’a plus d’objet. Il en a même moins que jamais, car M. Rességuier a annoncé l’intention d’allumer le quatrième et dernier four de son usine, four qui ne fonctionnait pas avant la grève, afin de pouvoir embaucher deux cents ouvriers de plus. Qui sait pourtant ce qui se passera à Carmaux à la suite de la nouvelle que le ministère Ribot a succombé ? Tout ne sera-t-il pas remis en question ? Les grévistes ne voudront-ils pas attendre le cabinet de demain ? Qui sait s’ils n’auront pas quelque chose de mieux à obtenir de lui ? Les inquiétudes qui se manifestent déjà de ce côté augmentent encore la gravité d’une crise que rien n’explique, que rien ne justifie. Qu’adviendra-t-il du budget qu’il serait si urgent de discuter ? Qu’adviendra-t-il du traité de Madagascar qui vient d’être publié et qu’il serait si important de voir expliqué et défendu par les ministres qui l’ont conclu ? Jamais crise n’a été plus inopportune, et n’a jeté plus d’ombres sur l’avenir immédiat. Nous dirons dans quinze jours quel en aura été le dénouement.


On aime à se détourner un moment de l’arène bruyante de la Chambre des députés pour parler des spectacles bien différens qu’a offerts le centenaire de l’Institut. Il y a plus longtemps que nous