Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ce mal a encore empiré à la suite du vote de l’ordre du jour Marcel Habert-Rouanet. Peut-être sortira-t-il de là un nouveau ministère qui, après s’être livré sur les divers groupes de la Chambre à un travail d’arpentage, de pesage et de soupesage, prendra des moyennes, tirera des résultantes et aboutira à un nouveau compromis. La logique semble indiquer qu’il penchera plus à gauche, puisque la grande victoire de lundi a été remportée par les socialistes. On les connaît assez pour savoir qu’ils se feront payer très cher leurs services, et que leurs exigences ne s’arrêteront pas à moitié chemin. Nous serions surpris si la question de Carmaux, qui paraissait avoir été définitivement réglée samedi dernier, ne se trouvait pas posée à nouveau après la séance de lundi. M. Jaurès, en effet, bien qu’il n’ait pris aucune part à la dernière bataille, est appelé à en profiter grandement. On imagine sans peine quelle joie il a dû éprouver lorsque, arrivé à Carmaux où il était allé se consoler avec les grévistes de la victoire que le gouvernement avait remportée sur lui, — nous nous gardons bien de dire sur eux, — il a reçu un télégramme lui annonçant que ce même gouvernement avait mordu la poussière sous les coups du redoutable M. Rouanet, et que déjà il n’était plus. Les journaux socialistes intitulent leurs articles sur la chute du cabinet : La revanche de Carmaux.

Le ministère s’était fait beaucoup d’honneur par l’attitude qu’il a prise dans la grève de Carmaux, et par la manière dont il l’avait expliquée et défendue devant la Chambre. Il faut bien revenir sur ces incidens, puisque notre chronique embrasse une quinzaine. Au reste, parmi les choses qui paraissent déjà vieilles, à cause des catastrophes ministérielles qui se sont produites depuis et de l’intérêt momentanément exclusif qui s’y attache, beaucoup reprendront plus tard leur importance propre. Un ministère de plus ou de moins n’est peut-être pas une grande affaire, mais la grève de Carmaux restera une des pages les plus curieuses de notre histoire économique, politique et parlementaire. Les traits principaux méritent d’en être fixés : on les retrouvera d’ailleurs, avec beaucoup de précision et d’exactitude, dans le discours qu’a prononcé M. le ministre de l’intérieur. M. Georges Leygues a tracé de M. Rességuier un portrait bien différent de celui que nous avaient présenté les socialistes. M. Rességuier est un homme de soixante-quatorze ans, ancien ouvrier verrier, qui s’est élevé par son intelligence et son travail au-dessus de sa condition première, mais qui en est resté fier, ne l’a jamais oubliée, et en a conservé pour ses ouvriers, qu’il regarde comme ses collaborateurs et ses amis, des sentimens affectueux et dévoués. On lui a reproché quelquefois d’avoir fait de la politique, et, en effet, il a été républicain toute sa vie ; il a été un des adversaires de l’Empire à un moment où ce régime en avait fort peu ; mais il a toujours eu soin de porter son action politique en dehors de Carmaux, parce que là, dans ce milieu particulier où il avait mis