Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appuyait fût des plus instables. Et peut-être aussi ces deux motifs se sont-ils réunis pour déterminer sa chute.

Il y a vraiment peu de chose à dire de l’interpellation de M. Rouanet sur les chemins de fer du Sud de la France. L’affaire est bien connue, puisqu’elle a été portée deux fois devant la cour d’assises de la Seine, et qu’elle a abouti, d’abord à l’acquittement de MM. Martin, André et Bobin, puis à la condamnation de M. Magnier. On a prétendu qu’il y avait contradiction entre ces deux verdicts ; si cela est vrai, il faut s’en prendre à l’institution du jury. Il y a des jurys trop indulgens, il y en a de plus sévères, et on passe des uns aux autres sans qu’il soit possible d’assigner aucune règle à ces variations infiniment plus capricieuses que celles de l’atmosphère. Cela ne veut pas dire que l’institution du jury soit mauvaise. Sans doute, elle présentera toujours un peu de hasard dans ses résultats ; mais ces hasards seraient moindres si la liste des jurés était dressée autrement qu’elle ne l’est, et si on ne semblait pas quelquefois en éliminer par système les élémens intelligens et, dès lors, indépendans des surprises de l’audience. Les choses étant ce qu’elles sont, que pouvait faire le gouvernement, sinon ce qu’il a fait ? Il a exercé des poursuites contre tous ceux qui avaient encouru des responsabilités pénales, et il n’a pas lui-même plus de responsabilité dans les acquittemens que dans les condamnations prononcés. A toutes les questions qui lui ont été posées par M. Rouanet d’un côté et par M. Binder de l’autre, M. le garde des sceaux a répondu avec une clarté qui ne laissait rien à désirer. La Chambre, un peu dépaysée, a assisté à un débat qui aurait été mieux à sa place dans un prétoire. Les orateurs parlaient comme des avoués beaucoup plus que comme des hommes politiques. Il fallait être du métier pour s’y reconnaître. Qui pourrait dire s’il y a eu vraiment des fautes dans la conduite de la procédure ? Les orateurs de l’opposition l’ont affirmé, M. le garde des sceaux l’a nié : la Chambre était un juge incompétent en pareille matière. On lui demandait d’évoquer par devers elle, de rouvrir, de juger sommairement et par à peu près, non pas à la lumière de la raison juridique, mais à la lueur confuse et trompeuse de passions politiques, des procès qui avaient reçu ailleurs une solution définitive. La chose jugée n’existe-t-elle donc pas pour elle ? Les lois qu’elle fait pour les autres ne l’obligent-elles pas aussi ? A-t-elle le droit de s’ériger en autorité souveraine qui casse à son gré les sentences, les jugemens, les verdicts, et en impose de nouveaux ? Telle est la question qui s’agitait. Elle n’est pas nouvelle. Elle a reçu déjà, suivant les cas, les circonstances, l’humeur du moment, le degré de sympathie qu’inspirait tel ou tel ministère, l’habileté de ses orateurs ou l’énergie de leur attitude, des réponses très différentes. Lundi dernier la réponse a été de telle nature que le ministère a dû se retirer.

L’ordre du jour qui a été voté est dû à la collaboration de M. Marcel