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tous les ordres de science un enseignement pratique et national aux recherches spéculatives et à l’étude désintéressée.

C’est avec de telles idées que Sybel, en 1848, entra résolument dans l’action politique. « Je pris part avec mon ami Hildebrand nous raconte-t-il lui-même, au Congrès préparatoire du Parlement de Francfort, et je ne tardai pas à devenir, à Marbourg, un personnage assez populaire. Mais il me fut impossible de trouver une circonscription qui voulût me choisir pour la représenter, et ma popularité, d’ailleurs, fut de courte durée. Les partis, en effet, ayant commencé à se dessiner, je me rangeai ouvertement dans les rangs des constitutionnels. J’eus même le malheur de devoir me prononcer un jour en public contre la république allemande et le suffrage universel : sur quoi le peuple souverain me donna mon congé. » Il n’en fut pas moins délégué, par ses collègues de l’université, au Landtag hessois : mais là encore on le trouva trop modéré, et son rôle politique resta de peu d’importance.

C’est alors que, pour répondre aux démocrates et aux socialistes de son pays, il forma le projet de cette brochure sur la Révolution française qui devait se transformer, peu à peu, en une vaste Histoire de l’Europe durant la période révolutionnaire. Trente ans Sybel travailla à cet ouvrage mémorable, dont chacun des tomes successifs lui valut un surcroit de réputation. Il voulait en faire un livre d’action, une forte et définitive leçon qui dégoûterait à jamais ses compatriotes des funestes chimères du radicalisme. Et en effet ce grand ouvrage, à le considérer dans l’ensemble, apparaît comme une dissertation monumentale, établissant sa thèse à grand renfort de preuves et de contre-preuves. Toutes les idées de l’auteur s’y retrouvent, et son conservatisme politique, et son culte des personnalités, et sa conception d’une histoire écrite cum ira et studio. Le tout appuyé d’une érudition très solide, et présenté en outre sous une forme claire et simple, mais peut-être bien froide pour un livre d’action[1].

Sybel, d’ailleurs, agissait encore par d’autres moyens. Nommé en 1854, — toujours sur la recommandation de Ranke, — professeur d’histoire à l’université de Munich, il créait dans la capitale bavaroise un centre important d’études politico-historiques : il accoutumait les jeunes étudians à considérer l’histoire comme une science pratique, a ne s’occuper du passé qu’en vue du présent et de l’avenir. Il leur communiquait son rêve d’une grande monarchie constitutionnelle, terminant l’évolution séculaire de la race allemande. Et personne peut-être n’a contribué davantage à modifier dans l’Allemagne entière l’esprit et les méthodes de l’enseignement supérieur, en formant cette génération nouvelle de professeurs doctrinaires et patriotes qui devait bientôt

  1. Voyez, dans la Revue du 15 décembre 1867, le jugement porté sur cet ouvrage par M. Challemel-Lacour.