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de Varnhagen von Ense et de Léopold Ranke, du romancier Gottfried Keller, du poète Hamerling : interviews des peintres Kaulbach, Herkomer, Alma Tadema : anecdotes sur Liszt, sur Kossuth, sur le baron de Putlitz, sur l’archéologue Gustave Hirschfeld : voilà, avec de nombreux souvenirs militaires de 1870 et quelques nouvelles, le principal contenu des dernières livraisons de la Deutsche Rundschau et de la Deutsche Revue. On n’attend plus même la mort des hommes célèbres pour publier leur correspondance. Un camarade de collège du peintre bâlois Arnold Bœcklin offre aux lecteurs de la Deutsche Revue deux lettres de son condisciple, datées, l’une de 1849, l’autre de 1851 ; ailleurs, ce sont des lettres du malheureux Nietzsche, de M. Virchow, d’un ancien secrétaire de M. de Bismarck : le tout reproduit simplement à titre de curiosité, avec à peine quelques mots d’introduction ou de commentaire. De telle sorte que, si les Allemands continuent « à attacher à l’idée de la publicité une importance hors de raison », ce n’est plus, tout au moins, dans le sens où l’entendait le naïf Varnhagen.

Rien ne prouve, d’ailleurs, que l’importance qu’ils y attachent soit si déraisonnable : et c’est précisément un des problèmes les plus difficiles de notre temps, de savoir jusqu’à quel point la publication de lettres, journaux intimes, et autres documens du même genre, est capable de servir, ou de nuire, à notre connaissance du caractère et du génie des grands hommes. Avons-nous gagné, ou perdu, à avoir dans son entier la Correspondance de Flaubert ? Stendhal nous est-il devenu plus cher, l’avons-nous tout au moins mieux compris, depuis qu’on nous a donné ses lettres, son Journal, et ses innombrables ébauches de romans et de contes ? Et, d’une façon générale, lequel vaut le mieux, tant pour nous que pour les grands hommes eux-mêmes, ou que nous ayons sur eux le plus de renseignemens possible, ou bien que nous sachions d’eux seulement ce qu’ils ont voulu nous en faire savoir ?

Après cela, peut-être ce problème est-il de ceux qui comportent, suivant les cas, un nombre indéfini de solutions différentes. Peut-être y a-t-il des documens qui éclairent une figure, et d’autres qui auraient plutôt pour effet de nous l’obscurcir. Et peut-être y a-t-il aussi des époques, et des pays, où la publication de cette sorte de littérature est mieux venue que dans d’autres. Je ne puis croire, par exemple, que, pour assoiffés que nous soyons nous-mêmes de documens inédits, nous nous accommodions sans un peu de fatigue de l’énorme déballage qui s’en fait en ce moment dans la presse allemande.


Et le pire malheur est que, dans ce déballage, mainte pièce risque de passer inaperçue qui, mise en valeur et isolée de celles qui l’entourent, aurait pu être d’un intérêt précieux pour l’historien ouïe psychologue. On trouverait ainsi, dans les lettres de Gottfried Keller que