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surprise ! La dame n’a que le temps de cacher son clerc sous un cuvier. Le mari demande « soupe au vin » et, sans malice aucune, met lui-même la nappe sur la cuve. Les quatre compères festinent, au grand ennui du pauvre clerc,

Qui ne menoit pas trop grand feste,
Qu’il li menjuent sur la teste.

Or, le cuvier était le bien d’une voisine qui, ayant besoin de l’ustensile, le fait quérir par sa « meschine ». Le marchand ordonne qu’on le rende sur l’heure. C’était découvrir le pot aux roses. La bourgeoise renvoie à sa commère une réponse entortillée où celle-ci entrevoit toute la vérité. Compatissante autant que madrée, elle appelle « un ribaud » qui passait « enmi la rue », et lui promet quelques liards s’il crie : « Au feu ! » de tous ses poumons. Le ribaud crie ; les quatre marchands, emportés par l’horreur naturelle aux bourgeois pour l’incendie,

Trestuit ensemble au cri saillirent.

À peine ont-ils tourné le dos, que la dame soulève la cuve et fait évader le clerc

Qui n’ot cure de plus atendre.

Mais la farce du cuvier a manqué ses plus plaisans effets. La complication comique échappe au trouvère : ses personnages vont à tâtons, sans s’affronter ni se mesurer entre eux. Le clerc, une fois escamoté, ne compte plus et son rôle disparaît. La bourgeoise est comme assommée par le retour imprévu du marchand ; le stratagème d’une voisine l’empêche seul de se noyer sans s’être débattue : le mari n’a point l’occasion même d’une ombre de jalousie. Il est trompé et fort peu ridicule. Ces trois rôles imparfaits sont repris et, pour ainsi dire, renversés par Boccace.

C’est à Naples, en une rue écartée, déserte, que se place l’aventure. Peronella, fileuse de son métier, femme d’un pauvre maçon, reçoit les hommages d’un joli jeune homme, Giannello, qui lui rend visite chaque fois que le mari s’est éloigné pour son travail. Un matin, celui-ci revient sur ses pas et trouve porte close : « Béni soit Dieu, dit-il, qui m’a donné une femme si fidèle ! Il frappe, et Peronella fait entrer l’amant dans un tonneau. Puis, elle ouvre et accueille son mari par une scène où se rencontrent les principaux ingrédiens d’une bonne querelle de ménage. Pourquoi rentre-t-il ses outils à la main ? Deviendrait-il paresseux ? Comment mangera-t-on demain à la maison ? Devra-t-elle mettre ses jupons en gage ? En vérité elle se tue au travail, elle use ses doigts « pour mettre de l’huile dans la lampe. » Toutes les voi-