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comme il arrive souvent, dans des cœurs chrétiens. Ceux-ci y ont trouvé quelque allégement à leur affliction. Cette âme qui s’est envolée vers son Créateur, ils se la représentent déjà en possession des éternelles délices, juste récompense de ses vertus, ou, s’ils conservent quelque doute sur son sort ultérieur, ils se promettent de tant prier pour elle que son temps d’épreuves en sera abrégé ; ils feront dire des messes pour la retirer du purgatoire. En théorie, ils n’admettent donc pas que, dans cette fosse qui s’est refermée, il reste du mort, après quelques jours écoulés, autre chose que, comme dit Bossuet, « ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. »

S’il en est ainsi, pourquoi voyons-nous ceux mêmes qui cherchent le plus sincèrement leur réconfort dans ces religieuses espérances revenir dès le lendemain, et, parfois, tous les jours pendant des années, s’agenouiller sur une même pierre ? pourquoi la parent-ils de fleurs sans cesse renouvelées ? pourquoi ces jouets que l’on voit rangés sur le marbre de la petite chapelle, derrière la grille qui la clôt ? pourquoi, à certaines dates, tout un peuple accourt-il dans les cimetières, les mains chargées de bouquets et de couronnes ? Que viennent faire là les chrétiens, puisque, comme le dit l’ange aux saintes femmes qui n’avaient pas prévu la résurrection du Seigneur, « la tombe est vide » ? Et les autres, pourquoi prennent-ils le même chemin, ceux qui pensent que tout finit pour l’homme avec la mort, que l’homme se survit seulement dans ses œuvres, dans ses actions bonnes ou mauvaises ? Diront-ils que c’est parce qu’ils veulent s’isoler et se recueillir un instant, afin de penser à ceux qui ne sont plus et d’évoquer leur image ? Mais, ces morts chéris, où les revoit-on mieux, où se sent-on plus près d’eux que dans la maison qu’ils ont jadis remplie de leur activité, de leur tendre et affectueuse bonté ? où a-t-on plus chance de ressaisir l’accent de leur voix et le sourire de leurs yeux que parmi les objets familiers dont chacun nous rappelle une de leurs paroles ou un de leurs gestes coutumiers ?

Non certes, ce désir, si naturel qu’il soit, ne suffirait pas à expliquer cette contradiction de la pratique et de la théorie, ces touchantes inconséquences, ces visites répétées aux cimetières, ces soins rendus à la tombe. Ce qui commande ces habitudes, c’est une impulsion inavouée et irrésistible, un effet de l’atavisme. Catholiques et protestans convaincus ou matérialistes qui se vantent d’être affranchis des vieux préjugés, tous ces visiteurs, tous ces ornateurs de la tombe, ne peuvent se défendre de penser que les morts auxquels ils rendent ces hommages y sont sensibles en quelque façon. A la veuve qui murmure des mots de