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doute on n’agit pas comme si la tombe n’eût renfermé qu’une muette et insensible poussière : on continua de la garnir du même mobilier et d’y payer le tribut des mêmes offrandes ; mais on ne voyait plus aussi nettement le défunt y poursuivant dans les ténèbres, par la vertu de la libation, l’existence qu’il avait jadis menée sous le ciel. IV là une sorte d’hésitation que l’on ne s’avouait pas, mais qui n’en dut pas moins avoir son influence sur l’architecture funéraire. Ne sentant plus le mort aussi près de soi, on était tenté de ne plus s’astreindre à d’aussi pénibles efforts, pour faire la tombe spacieuse et riche ; surtout on se déshabituait d’y jeter avec profusion ces métaux précieux auxquels il était facile de trouver un meilleur emploi. Les caveaux de l’âge classique n’offriront pas les dimensions imposantes et le décor somptueux que nous avons admirés dans les coupoles funéraires ; les bijoux que nous en verrons sortir nous paraîtront bien légers, en comparaison de ceux que nous avons soupesés à Mycènes.

Le travail et le mouvement de la pensée sont donc aussi pour beaucoup dans cet amoindrissement de la tombe. Lorsque dominait cet animisme primitif dont le culte des morts n’est qu’une des formes, celles peut-être de toutes les divinités que l’on craignait le plus et dont il paraissait le plus urgent de se concilier la faveur, c’était les mânes des chefs de la famille et de la tribu : or, quel plus sensible hommage pouvait-on leur rendre que d’employer toutes les ressources de l’art à construire et à parer la demeure au fond de laquelle ils régnaient encore, investis d’un pouvoir indéfini et redoutable, soit pour récompenser, soit pour châtier leurs descendans, suivant que ceux-ci les honoraient ou se montraient négligens à leur égard ? La tombe est donc alors le principal objet des préoccupations de l’homme, et c’est elle qui fournit à l’artiste l’occasion de déployer le plus librement sa maîtrise ; mais elle perdra de son importance lorsque l’esprit, devenu plus capable d’abstraction, sera parvenu à concevoir des dieux qu’il placera au-dessus du monde et en qui il personnifiera les forces éternelles, les lois de la nature. C’est alors que la Grèce créera, en l’honneur de ses dieux, un type d’édifice, le temple, qui sera le suprême effort et le chef-d’œuvre du génie grec.


VI

Peut-être, si l’on a bien voulu nous suivre ; dans ces recherches critiques, n’a-t-on pas pu se défendre de quelque surprise en constatant avec quelle ténacité obstinée l’esprit des peuples anciens, de ceux mêmes dont la civilisation fut la plus brillante, est