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première, c’est que l’état social de la Grèce, après la chute des dynasties achéennes, n’est plus ce qu’il avait été pendant que celles-ci régnaient dans leurs châteaux imprenables. Autant que l’on peut entrevoir ce que fut la condition du monde hellénique pendant les deux ou trois siècles qui suivirent l’invasion dorienne, ce fut là un temps d’abord d’agitations et de guerres sans cesse recommençantes, puis, quand se fut achevée la conquête et que se fut fait le tassement, de vie médiocre et rustique. Les vainqueurs ne se dépouillaient que très lentement des habitudes de simplicité presque barbare qu’ils avaient apportées des montagnes et des forêts du Nord. Quant à ceux des vaincus qui avaient réussi soit à se maintenir dans une partie de leur domaine héréditaire, soit à trouver ailleurs un canton où ils pussent s’établir à demeure, ils étaient trop ébranlés par ces assauts et par ces fuites pour être en mesure d’entreprendre les hardis travaux de construction et de décoration qui semblaient avoir été un jeu pour leurs ancêtres. Nulle part alors, en Grèce, il n’y avait de rois qui eussent le goût et le pouvoir d’appliquer des centaines de bras à détacher de la carrière, à tailler, à appareiller et à couvrir de fines ciselures des blocs semblables à ceux qui forment les jambages et les linteaux du Trésor de Minyas ou du Trésor d’Atrée. Les royautés d’autrefois, avec le prestige de leur antiquité séculaire, ont disparu sans retour. Partout, chez les Ioniens comme chez les Doriens, la fortune et l’autorité sont aux mains de ces nobles que l’on appelait les Eupatrides ou « fils de bons pères. » Ce sont les tombes de ces nobles que l’on a retrouvées dans le Céramique, avec le vase monumental qui les surmonte. Il n’en fallait pas davantage pour les distinguer de celles du bas peuple ; mais ces sépultures aristocratiques devaient être toutes à peu près pareilles. En donnant à l’une d’elles des dimensions inusitées et un aspect exceptionnel, on aurait risqué de blesser le sentiment public. Une certaine égalité, une certaine uniformité s’imposaient.

Il y a aussi à tenir compte de l’apparition d’une théorie nouvelle, au sujet de la vie posthume. Malgré les résistances que rencontrait le rite de l’incinération, les croyances dont il était issu ne purent manquer de s’insinuer dans les esprits ; il en résulta quelque incertitude. Le parent ou l’ami que l’on avait perdu, on se le figurait successivement ou même tout ensemble domicilié dans la tombe et mêlé, dans l’Hadès. à la troupe innombrable des morts. Que l’une de ces hypothèses fut la négation de l’autre, on’ n’en avait cure ; cependant, du jour où, par momens tout au moins, on se représenta le mort comme absent de la tombe et habitant un autre séjour, il y eut quelque chose de changé. Sans