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le sommeil, pour sucer leur sang, pour l’aire périr ainsi hommes, femmes et enfans. Ces croyances, qui paraissent avoir disparu de l’Occident, existent encore chez les Slaves de l’Autriche et chez ceux de la péninsule balkanique, ainsi que chez les Grecs des îles et du continent. Les Slaves et les Albanais donnent au vampire le nom de Vourvoulakas ou Vroukolakhas ; les Grecs se servent du terme Katachanas, qui signifie destructeur[1]. Partout, pour mettre fin aux incursions du mort soupçonné d’être un vampire, on déterre son corps et on le brûle jusqu’à la dernière parcelle ; cela fait, dans le village que désolaient ses attaques, on dormira en paix[2]. On a relevé chez les auteurs anciens maintes traces de superstitions analogues à celles qui se rapportent aux vampires et à leur activité meurtrière. Si ces superstitions continuaient à troubler les âmes dans la Grèce instruite et civilisée, c’est qu’elles avaient leurs racines dans un passé très reculé. Les générations qui ont cru le plus fermement à la présence, dans le tombeau, du mort toujours vivant, ne devaient pas laisser de trembler quand elles sentaient si près d’elles ce voisin redoutable dont il leur était impossible de deviner toutes les volontés et de prévoir tous les caprices, alors qu’elles n’avaient sur lui, par le sacrifice propitiatoire, qu’une prise faible et intermittente. Si, du fond de son tombeau, le mort était apte à protéger et à secourir ceux de ses descendans qui ne manquaient pas à lui payer le tribut de leurs offrandes, on risquait aussi qu’il s’échappât de sa prison pour aller tourmenter, avec ou sans juste cause, ceux dont il croirait avoir à se plaindre. La destruction du corps par le feu, celle de ces dents qui pouvaient mordre, de ces ongles qui pouvaient déchirer la chair, mettait à l’abri de ce péril. Qu’aurait-on à redouter d’un fantôme, d’un fantôme d’ailleurs relégué dans l’Hadès lointain, qui refermait ses portes sur ceux auxquels il les avait ouvertes ?


V

Que de telles appréhensions aient ou non contribué à accréditer, la nouvelle conception et le nouveau rite, celui-ci, là où il aurait prévalu, devait amener la décadence de l’architecture

  1. Koraï, Atakta, t. I, p. 267.
  2. Pashley, Travels in Crete, 1837, t. II, ch. XXVI. L’auteur y raconte de curieuses histoires de vampires, qu’il a recueillies de la bouche des paysans, chez les Sfakiotes et autres montagnards de la Crète. Il renvoie aussi à de nombreux ouvrages qui montrent combien autrefois cette croyance a été générale en Angleterre, en France et en Allemagne, et quelle prise elle garde encore sur les imaginations, dans toute l’Europe orientale, de la Dalmatie et de la Bohême à la Crète.