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même. Il fait souvent allusion au coup qui le frappera devant Troie ; mais jamais il ne paraît supposer que ses restes, tout au moins, aient chance de retourner en Phtiotide : son espérance, c’est qu’ils seront ensevelis auprès de ceux de Patrocle ; ce qu’il demande aux Grecs, c’est d’agrandir et de surélever le tu mu lus lorsqu’ils l’y mettront auprès de son ami[1]. Les noms d’Antiloque et d’Ajax demeuraient attachés à d’autres de ces buttes funéraires, sur le rivage de l’Hellespont[2]. D’après la tradition, il n’était pas un des héros grecs dont la cendre eût été retirée du tertre qui l’avait reçue au moment des obsèques.

D’autre part, c’est aussi le bûcher qui dévore le cadavre de ceux qui, mourant au pays, ne peuvent avoir qu’un désir, à leur dernière heure : c’est que leur cendre ne soit pas arrachée à la terre sur laquelle se sont écoulés les jours de leur vie mortelle. Quand les Troyens rendent à Hector les honneurs suprêmes, ils remettent aux troncs résineux des pins de l’Ida le soin de consumer le corps du héros.

Dans les parties authentiques des deux poèmes, il n’y a donc pas trace de la pensée et du souci par lesquels on avait prétendu expliquer la préférence accordée à l’incinération. Ce souci ne se manifeste point à propos des morts qui ont succombé loin de chez eux, au cours d’une expédition militaire, et ceux dont la vie se termine là où elle a commencé sont également soumis à la crémation. On ne saurait donc expliquer ce changement que par la marche même de la pensée grecque, par le chemin qu’elle a fait d’une époque à l’autre, entre le temps où vivaient les héros achéens et celui où le poète a chaulé leur prouesse.


III

Nous avons défini la conception première, et peut-être, en essayant de la rendre intelligible, lui avons-nous donné une précision qu’elle n’a jamais eue dans l’esprit des hommes d’autrefois. Celui-ci se contentait, en pareille matière, d’idées vagues et d’images confuses. Nous pensons pourtant avoir saisi le vrai sens de la doctrine et montré comment la tombe mycénienne, de même que la tombe égyptienne, avait reçu d’elle sa forme et son originalité. Cette croyance suffit, pendant des siècles, à satisfaire les inquiétudes de la pensée ; celle-ci pourtant ne pouvait se défendre de se tourmenter du problème que posait à nouveau chaque ensevelissement. Une observation bien simple la mettait

  1. Iliade, XXIII, 245-248.
  2. Odyssée, III. 109-112.