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avait, si l’on peut ainsi parler, toutes ses aises. La place ne manquait pas pour grouper autour du chef de clan ses parens et ses fidèles, pour déposer près d’eux les provisions de bouche qui les aideraient à lutter contre la faim, les objets de prix dont la possession tromperait l’ennui de leur longue réclusion.

La tombe est donc loin de présenter partout le même aspect, au cours d’une période à laquelle on peut, sans exagération, attribuer une durée d’environ mille ans ; mais partout, aussi bien là où elle est encore toute rudimentaire que là où elle est devenue un édifice grandiose et somptueusement orné, elle n’a livré à ses récens explorateurs que des ossemens qui n’avaient point passé par la flamme. La Grèce primitive n’a point connu le rite de l’incinération, ce rite que nous étions portés, par les souvenirs de notre éducation classique, à considérer comme le seul que les Grecs et les Italiotes aient jamais pratiqué, ou, du moins, comme celui qui avait été, de tout temps, le plus répandu, le plus usité chez ces peuples.


II

Avec Homère et avec la société dont il peint les mœurs, tout est changé. Pas un héros ne succombe, sous les murs de Troie, sans que s’allume pour lui la flamme du bûcher. Ce serait un affront pour le mort que de ne pas être étendu sur cette dernière couche par la main d’un ami ou d’un parent. Celui-ci, pour nourrir et activer la combustion, enveloppera le cadavre dans la graisse des victimes égorgées ; il posera près de lui, appuyées contre la civière, des amphores pleines d’huile et devin, dont le contenu se répandra sur le brasier ; il approchera la torche des branchages secs, puis, quand la flamme aura fait son œuvre, il recueillera, parmi les cendres encore tièdes, les ossemens blanchis et les déposera dans l’urne funéraire. Ces honneurs du bûcher, Agamemnon, dans sa rancune persistante contre Ajax fils de Télamon, les refuse au héros, quand celui-ci s’est donné la mort, désespéré de n’avoir pas obtenu les armes d’Achille ; il défend de brûler le cadavre et le fait inhumer[1].

Par quelle voie cette pratique de la crémation s’est-elle répandue dans le monde grec ? Les Grecs l’ont-ils tirée du dehors ? l’ont-ils reçue de l’un des peuples avec lesquels ils étaient en relations suivies ? ou bien y sont-ils venus d’eux-mêmes, quand se sont modifiées les idées qu’ils se faisaient de la condition des

  1. C’est ce que racontait, l’auteur de la Petite Iliade (Eustathe, ad Iliada, p. 283 34).