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où il était placé avant l’accident qui l’a fait descendre au tombeau.

Le rite funéraire qui s’accorde le mieux avec cette hypothèse, ou, pour parler plus exactement, le seul qui ne soit pas en contradiction avec elle, le seul qu’elle conseille ou plutôt dont elle commande l’emploi, c’est évidemment le rite de l’inhumation. C’est le seul en effet qui conserve le corps intact, qui, moyennant certaines précautions telles que l’assèchement du caveau et que l’embaumement, assure encore à la forme humaine, après qu’elle a été touchée par la mort, certaines garanties de durée, une persistance sans laquelle l’imagination, malgré sa vivacité, ne trouverait pas à quoi rattacher ce souffle de vie et ce semblant de conscience qu’elle prête au mort. Voyez l’ancienne Égypte : c’est, de tous les pays du monde, celui où cette conception s’est le plus impérieusement imposée à l’esprit et où celui-ci en a tiré avec le plus de rigueur les conséquences logiques, celui où il l’a traduite par l’ensemble le mieux lié de dispositions et de pratiques. Or l’Égypte a toujours inhumé ses morts. On sait avec quelle ingénieuse adresse et avec quel succès elle a disputé le corps à la destruction, et comment, dans les chambres des pyramides memphites ou des syringes thébaines, elle l’a si bien caché, que beaucoup de momies s’y dérobent encore à l’avidité des chercheurs de trésors et aux explorations méthodiques des savans. Personne n’ignore comment elle a pourvu à toutes les nécessités de l’existence des hôtes de « la bonne demeure », et comment elle les y a souvent entourés d’un luxe, vraiment royal.

Pendant la période mycénienne, les riverains de la mer Egée ne disposaient pas, pour honorer leurs morts et pour assurer leur bien-être, de ressources comparables à celles dont usait l’opulente Égypte, cette aînée de la civilisation. Mais l’arrangement de leurs tombes nous avertit qu’ils avaient, sur les effets de la mort et sur la situation où elle met ceux qu’elle a frappés, des idées qui ne différaient point, au fond, de celles que l’Égypte a toujours professées. Aussi, pendant toute la durée de ce premier âge, l’inhumation a-t-elle été la règle. Schliemann avait cru et avancé le contraire. Trompé par sa préoccupation constante, par son parti-pris de retrouver toujours et partout, dans la Mycènes qu’il déterrait, les personnages d’Homère, les mœurs et les tableaux de l’épopée, il avait affirmé que les cadavres couchés dans les fosses de l’acropole mycénienne, ces cadavres que désignait comme ceux des rois l’or répandu sur eux à pleines mains, avaient été brûlés, ou du moins l’avaient été à demi. Rien de plus invraisemblable, a priori, que cette crémation qui aurait été opérée non sur