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j’aime ton amour. Mais si tu penses que toi seul je te doive aimer en retour, oh ! alors, petit berger, tu risques fort de te méprendre. Belle rose de pourpre, qu’aujourd’hui cueillera Silvie ! Sous le prétexte de l’épine, elle la dédaignera demain. Mais des hommes le conseil par moi ne sera pas suivi, et parce que j’aime le lis, je ne dédaignerai pas les autres fleurs[1]. »

Charmantes l’une et l’autre, les deux romances ont le même charme. Voici que sur la mélodie de Pergolèse une ombre s’est répandue. Le mode d’abord a changé : le mineur alangui succède au majeur éclatant. Ce n’est pas tout : cette mélodie, si droite, si ferme dans la Servante, ondule ici et ploie ; elle se laisse fléchir et même elle se laisse orner. Oh ! d’ornemens légers et mélancoliques, mais enfin d’ornemens. Ainsi parée, bien que naturelle encore, rêveuse déjà mais encore souriante, elle est deux fois délicieuse. Lisez surtout la déclaration ou l’avertissement au petit berger. Ce morceau, dans le recueil d’où nous le tirons, se trouve à côté d’un air de Serpina ; mais qu’il en est éloigné par le sentiment ! Qu’il y a de distance entre ces deux âmes de femme ! Qu’il y a loin de cette sécheresse à cet attendrissement ! Là tout s’accusait en relief ; ici tout s’enveloppe et se voile, plus rien ne heurte et plus rien ne froisse. La chanteuse inconnue trahira le pastorello ; elle s’en accuse d’avance, mais elle s’en excuse aussi, et dans cette excuse féminine on sent un si joli regret, un si gentil chagrin dans cet aveu de fragilité, d’impuissance à demeurer fidèle, qu’avec une indulgente tristesse on ne peut ici que sourire et pardonner.

Pergolèse eut non seulement la grâce dans la mélancolie, mais jusque dans la douleur. Il a laissé un de ces chants

  1. Se tu m’ami, se tu sospiri
    Sol per me, gentil pastor,
    Ho dolor dei tuoi martiri,
    Ho diletto del tuo amor.
    Ma se pensi che soletto
    Io ti debbo riamar,
    Pastorello, sei soggetto
    Facilmente a t’ingannar.
    Bella rosa porporina
    Oggi Silvia sceglierà,
    Colla scusa della spina
    Doman poi la sprezzerà.
    Ma degli uomini il consiglio
    Io per me non seguirò :
    Non perche mi piace il giglio,
    Gli altri fiori sprezzerò.
    Ces deux romances figurent dans un recueil de vieux airs italiens qu’on ne saurait trop recommander : Arie antiche, raccolte per cura di A. Parisotti ; chez Ricordi.