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du ménage Fergan ? imaginer quelque aventure ? compliquer, embrouiller savamment son intrigue? faire évoluer autour de son action principale, et de ses deux personnages, dix, quinze, vingt autres personnages — comme dans les Faux Bonshommes ou dans les Effrontés — et deux ou trois autres actions? Ne l’avait-il pas fait dans l’Armature et dans Peints par eux-mêmes ? Que lui en coûtait-il de le refaire dans les Tenailles? Nous trouverions ainsi sa pièce moins « géométrique », moins « énigmatique », plus claire enfin, disent nos augures, comme étant plus semblable à celles que nous connaissons, dont nous conservons pieusement la « formule, » ou le « moule », pour l’imposer à tous ceux qui préféreront nos éloges à leur propre pensée. Et ils ne s’aperçoivent pas, en parlant de la sorte, que cette simplicité d’action qu’ils critiquent est précisément le mérite ou l’un des mérites éminens de la pièce de M. Paul Hervieu.

Car, assurément, pour a corser » son intrigue, le brillant romancier de l’Armature et de Peints par eux-mêmes n’avait qu’à le vouloir, comme aussi pour pailleter son dialogue de mots que les « Monsieur de l’orchestre » eussent à l’envi reproduits dans leur « soirée théâtrale ». Mais, tout justement, il ne l’a point voulu, et il ne l’a point voulu parce que, en écrivant les Tenailles, il n’a point voulu refaire l’Armature ou Peints par eux-mêmes, mais autre chose ; parce qu’il sait que le drame et le roman font deux ; et parce que, s’ils font deux, on ne saurait donc les traiter par les mêmes moyens. Non seulement on passe au roman d’être « chargé de matière », mais on le lui demande ! et on le lui demande parce qu’il est, parce qu’il doit être une image ou une représentation, un commentaire ou une illustration, une interprétation de la vie contemporaine. Mais les conditions du drame sont tout autres; et, comme l’a dit M. Dumas, dans une de ses Préfaces, si la « logique » pourrait bien être la première des qualités de l’auteur dramatique, rien n’est plus remarquable, dans les Tenailles, que la logique avec laquelle ayant posé, dès le début de sa pièce, la question qu’il y voulait traiter, M. Paul Hervieu l’a menée droit à son dénouement.

Et j’aime autre chose encore des Tenailles, qui est la subordination de tous les incidens à la volonté des personnages du drame. Tandis que, dans l’Armature ou dans Peints par eux-mêmes, il n’arrivait rien ou presque rien à personne qui ne fût l’effet comme imprévu de quelque fatalité, toute l’action ici se résume en un conflit de volontés adverses. « Tu veux me quitter, dit Fergan à sa femme, et moi je ne veux pas que tu me quittes. » Ce sont les deux premiers actes du drame, et le troisième est tout entier contenu dans cette réplique : « Tu voudrais me quitter maintenant, dit Irène à son mari, et moi, je ne veux pas que tu me quittes. » Épiloguons maintenant sur les moyens qu’ils prennent l’un et l’autre d’arriver à leurs fins ! Oui, cet « enfant de