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Bardo qui a mis fin d’un seul coup à nos opérations militaires et politiques. En Annam les choses se sont passées autrement. Le roi a pris la fuite avec son ministre. Nous avons fait un autre roi, il le fallait bien. Mais il a fallu aussi réduire le premier, ce dont nous ne sommes venus à bout qu’après plusieurs campagnes où nos militaires se sont couverts de gloire et ont été naturellement couverts de décorations : le malheur est qu’elles ont obéré nos finances et nous ont condamnés, au 5 moins provisoirement, à une autorité très amoindrie. Les choses devaient-elles se passer à Tananarive comme à Tunis ou comme à Hué ? L’événement seul pouvait le dire. Elles se sont passées comme à Tunis.

C’est une simplification dont il serait difficile d’exagérer l’importance. Déjà une polémique passionnée était engagée pour nous amener à préférer à Madagascar l’annexion au protectorat, et si nous n’avions pas eu le gouvernement hova sous la main, les argumens n’auraient pas manqué aux partisans du premier système. — A quoi bon, auraient-ils dit, créer un gouvernement qui ne sera que notre doublure, et à travers lequel on ne verra que nous ? Ce gouvernement n’aura de force que celle que nous lui donnerons ; pourquoi ne pas exercer cette force, qui est nôtre, directement et sans intermédiaire? On comprend qu’il puisse y avoir profit à se servir d’un gouvernement déjà établi, reconnu, consacré, pour transmettre sous son couvert des ordres auxquels les autorités du pays ont l’habitude d’obéir. Cet avantage est grand, mais l’aurons-nous avec un gouvernement qui sera taxé et convaincu d’usurpation ? Non, évidemment. Nous devrons faire, que nous le voulions ou non, la conquête de l’île et soumettre successivement toutes ses peuplades : dès lors, ne vaut-il pas mieux travailler pour nous que pour un gouvernement interposé? — Cette logique, avouons-le, n’aurait pas manqué de force; elle aurait frappé beaucoup d’esprits ; et nous aurions été entraînés dans un dédale de difficultés militaires, politiques, administratives et surtout financières qui auraient pesé longtemps et lourdement sur nous. Madagascar nous a déjà coûté très cher, trop cher à notre gré; c’est bien le moins que nous employions, pour achever de nous, y établir, les procédés les plus économiques, ceux du protectorat. Nous avons un traité ; personne ne le connaît encore, mais, évidemment, il est sorti du portefeuille du général Duchesne et non pas de sa tête; il a été préparé à Paris, comme l’avait été celui du Bardo. Il comporte le protectorat dans sa plénitude, avec toutes ses conséquences, tel enfin que le gouvernement anglais, dirigé alors comme aujourd’hui par lord Salisbury, l’a reconnu en 1890. Et cela allège pour nous les difficultés diplomatiques aussi bien que les autres : à ce point de vue encore, le protectorat doit être préféré à l’annexion. On nous aurait peut-être demandé, on se serait certainement adjugé