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C’est ainsi qu’il faisait de ces heures de plaisir, de ces « Quarante heures » que profanait le monde, des heures de prière et de piété.

Sa première œuvre fut un oratorio : la Conversion de saint Guillaume, duc d’Aquitaine. Exécutée au couvent de Sant’Agnello Maggiore en 1731, elle y fut très admirée. Pergolèse avait alors vingt et un ans et ne devait plus vivre que cinq années : ce fut assez pour son génie et pour son infortune. Deux ou trois opéras malheureux le détournèrent un instant de la musique dramatique. Résolu de l’abandonner, il écrivit à cette époque trente trios pour deux violons et basse, plusieurs messes, des vêpres et des cantates. Mais le théâtre bientôt le ressaisit. Acclamée en 1733 sur la petite scène de San Bartolomeo, la Servante maîtresse fit la gloire du jeune maître. Deux ans plus tard, à Rome, l’Olympiade la défit ; l’Olympiade injustement sifflée, tandis que triomphait, injustement aussi, le Nerone de Duni. C’est en conduisant la tumultueuse représentation de l’Olympiade que Pergolèse assis au clavecin reçut, dit-on, une orange en plein visage. Affolé de douleur et de honte, il s’enfuit à Lorette, où il avait été nommé maître de chapelle. Il y portait, avec un front outragé, un cœur blessé à mort. Sa vingt-cinquième année, la dernière de sa vie, avait été fatale non seulement à sa renommée, mais à ses amours. Un jour, raconte le biographe le mieux informé de Pergolèse, un jour une fille de noble race, Maria Spinelli, vit entrer chez elle ses trois frères. Tirant leurs épées ils lui dirent que, si dans trois jours elle n’avait choisi pour époux un homme d’une naissance égale à la sienne, de ce fer qu’ils tenaient à la main périrait Pergolèse le musicien, parce qu’elle l’aimait et qu’elle en était aimée. Au bout des trois jours ils revinrent : leur sœur avait obéi et s’était fiancée à Dieu. Maria prit l’habit des Clarisses. Un an plus tard, le 11 mars 1735, la cloche du couvent de Sainte-Claire sonnait le glas, et dans la chapelle Pergolèse mourant dirigeait lui-même l’office funèbre de sa pauvre morte[1].

De Lorette, où il avait commencé le Stabat Mater, il revint à Naples pour l’achever et pour mourir à son tour. La phtisie le consumait. On lui conseilla le tiède séjour de Pouzzolos. Des Franciscains recueillirent dans leur monastère celui qui devait être jusqu’à la fin un pauvre de Jésus-Christ. Mais leur charité ne put le guérir. Brisé par la toux et tremblant de fièvre, il défaillait en écrivant ce Stabat que lui avait commandé et payé d’avance (dix ducats ! ) une pieuse congrégation. Un jour que Feo, son ancien

  1. Voir sur ce point et sur tout ce qui touche la vie et l’œuvre de Pergolèse : la Scuola musicale di Napoli e i suoi Conservatorii, con uno sguardo sulla storia della musica in Italia, per Francesco Florimo ; Napoli, 1882.