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comme Perdican devant une fleur aussi : « Je n’en sais pas si long… Je trouve qu’elle sent bon, voilà tout. »


I

Quand j’essaie de me figurer Pergolèse, je le vois d’abord à seize, ans. Pour venir à Naples, il a quitté Jesi, la petite ville pontificale où il naquit d’une humble famille : son grand-père était cordonnier, son père arpenteur (agrimensore). Le svelte et frôle adolescent porte la soutane rouge et le manteau bleu des « Pauvres de Jésus-Christ. » Sur la recommandation d’un grand seigneur de son pays il a été admis au conservatoire de ce nom. Naples recueillait là, pour les instruire, les plus abandonnés et les plus malheureux de ses enfans. Ils y étaient élevés gratuitement, formés à des métiers divers suivant la diversité de leurs aptitudes et de leurs goûts. En même temps que la religion et la morale, on leur enseignait la musique. Partout ainsi, à Naples comme à Venise, la mélodieuse et deux fois libérale patrie donnait à ses fils avec un peu de son or un peu de son génie, et de chaque asile de misère faisait une école de beauté.

L’écolier qu’était Pergolèse étonna bientôt ses maîtres : son maître de violon d’abord. Pareil au chanteur de la fable, « il faisait des passages » ; et si hardis, si nouveaux, qu’on s’en émerveillait. De Greco, de Durante, de Feo tour à tour il apprit l’harmonie et le contrepoint ; il n’apprit la mélodie de personne. Souvent il allait avec ses condisciples par les campagnes délicieuses. Alors, comme un ruban d’écarlate et d’azur, la file des petits moinillons serpentait au flanc des coteaux napolitains. On revenait le soir, le long du Pausilippe, à l’heure où les pécheurs tournent le promontoire en chantant. Les paysans chantaient aussi sur le chemin. Chansons de la terre et chansons des vagues, l’enfant les écoutait toutes. Follement joyeuses ou tristes à mourir, ainsi qu’elles sont encore, toutes étaient sincères, toutes étaient vivantes, et c’est d’elles peut-être que passa dans l’œuvre de Pergolèse, dans la Servante maîtresse et dans le Tre giorni son che Nina, je ne sais quel goût de terroir et de peuple, l’accent de la vie et de la vérité.

Autant que la musique populaire, il aimait la musique sacrée. Quand venaient les jours du carnaval, le petit « Pauvre de Jésus-Christ » se plaisait à les sanctifier. Laissant la ville à sa folie, il entrait dans une chapelle d’Oratoriens voisine du conservatoire, et jouait sur l’orgue les morceaux qui, d’après la règle même de saint Philippe, doivent pendant l’office alterner avec les homélies.