Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingt et un cavaliers, sans parler de deux ou trois mille miliciens. Ses trois cent mille sujets lui paient une liste civile de cinq cent mille francs. La seconde entrevue ne fut pas moins cordiale et pas moins insignifiante que la première. Feudataire de l’Angleterre, à laquelle les Callars ont été jadis de quelque secours, le rajah de Poudoucottah est le type de ces innombrables rajahs que l’occupation étrangère a complètement annihilés au point de n’en faire, en quelque sorte, que les administrateurs plus ou moins indépendans de certaines provinces de l’empire anglo-indien.

Le rajah voyageait avec la veuve de son prédécesseur, la ranie douairière, que les dames européennes allèrent saluer dans un appartement réservé. L’entrevue fut des plus courtes. La ranie, une petite vieille aux cheveux gris, au visage ratatiné, était couverte de bijoux dans son pagne de soie et d’or. Elle fit à ses visiteuses l’accueil le plus charmant, s’informa de leur santé, leur offrit des diamans qu’elles refusèrent, et finalement les invita à la venir voir à Poudoucottah. Un interprète indou traduisait en anglais les demandes et les réponses, tandis que des serviteurs éventaient les interlocutrices. Je recueillis de nombreux détails sur les Callars en qui se retrouvent, en définitive, les caractères principaux bien qu’atténués des tribus sauvages du sud sur lesquelles la conquête aryenne fut à peu près impuissante. S’ils n’ont qu’une notion insuffisante du bien d’autrui, cela vient de ce que, poursuivis par les envahisseurs, il leur fallait demander au pillage ce que la chasse leur donnait dans les temps primitifs. Dans l’orgueil de leur antique civilisation, les brahmes ne pactisèrent jamais avec ceux qu’ils considéraient, au point de vue de leur religion affinée, comme des païens que l’on devait détruire, puisqu’on ne pouvait les convertir.

Ils sont, en réalité, les plus purs dravidiens avec leurs oreilles au lobe exagérément allongé et leurs habitudes sociales et religieuses si différentes de celles de la plupart des Hindous. Ils firent longtemps aux Anglais une guerre d’embûches et d’assassinats, et de nombreux officiers au service de la «Vieille Dame de Londres, » la Compagnie, furent étranglés ou égorgés, puis dépouillés par eux. Ils ont traité depuis avec l’étranger, qui a su utiliser leurs vices à l’égal de leurs qualités, et à voir le jeune et distingué rajah de Poudoucottah, on ne se douterait pas que c’est là le souverain d’un peuple de voleurs.


ANTOINE MATHIVET.