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Les autorités mormonnes étaient donc seules responsables du temps écoulé depuis le crime commis aux Mountain Meadows, sans que les coupables eussent été poursuivis et déférés à la justice. Ce crime était à la fois un crime de lèse-civilisation et de lèse-humanité; c’était donc à juste titre que, dans cette enceinte, il avait été dit que le monde civilisé avait les yeux sur le jury. Ce n’était pas le spectacle du prisonnier pendu que désirait le pays, il voulait voir son honneur vengé. La défense avait prétendu que le ministère public demandait la condamnation de Lee parce qu’il était un Mormon. Cette assertion était une insulte à l’intelligence des jurés. L’orateur passa ensuite en revue les témoignages et les témoins, et s’attacha plus particulièrement à la personnalité de Klingensmith. Qui était-il? Un ancien évêque mormon. En raison de sa haute situation, il avait été un des principaux auteurs du crime et sa déposition avait été en butte spécialement à toutes les attaques de la défense, parce qu’il avait avoué sa participation au massacre. Toutes ses réponses, marquées au coin de la vérité, n’avaient été faites qu’après mûre réflexion; toutes avaient été corroborées par les déclarations des autres témoins. Les avocats de Lee avaient demandé quel emploi pouvait donc bien remplir un pareil homme? L’orateur allait les éclairer sur ce point : Klingensmith jadis avait été estimé bon pour devenir un évêque polygame, pour aider à l’établissement du royaume, pour exécuter les ordres de ses supérieurs, pour tuer et piller sur un commandement de Brigham Young, le serviteur élu de Dieu. Tant que sa soumission ne s’était pas démentie, il avait été reconnu apte à gravir tous les degrés de la hiérarchie de l’Eglise, jamais un mot n’avait été prononcé contre lui. Mais maintenant qu’il avait secoué les chaînes de la servitude, qu’il témoignait de son repentir en déchargeant sa conscience du poids qui l’oppressait, il n’était plus qu’un monstre haïssable! Revenant à l’accusé, R. N. Baskin montra que tous les témoignages étaient d’accord pour prouver que c’était Lee qui avait amené les émigrans à capituler et il demanda au jury s’il était admissible que ce fût dans l’intention d’arracher les Arkansais à la poignée d’Indiens qui les entouraient, qu’il avait engagé ces malheureux à mettre bas les armes, à lui confier leurs enfans et à marcher à la mort, sur une file.

Si les Indiens avaient forcé les Mormons à participer au massacre, il était bien probable qu’à leur tour les Mormons eussent été les victimes de leurs sauvages alliés et durant les jours qui suivirent, on n’eût pas vu les Peaux-Rouges venir, sans exciter ni étonnement, ni crainte, laver paisiblement, dans les fossés de Cedar City, les vêtemens souillés de sang de ceux qui avaient