Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir avec les sauvages, ils eussent traversé le Territoire sans souffrir de dommage. Revenant à son client, il exalta l’héroïsme dont il avait fait preuve, affirmant que seul au milieu de ses coreligionnaires paralysés à la fois par la terreur que leur inspiraient leurs dangereux alliés, les Indiens, et par les ordres terribles qu’ils avaient reçus, il éleva la voix contre cette tuerie et qu’il ne se tut que lorsque, le menaçant de son rifle, Higbee lui imposa silence.

L’heure de la suspension de l’audience arriva avant que Spicer n’eût terminé. Son discours, jusque-là, avait profondément mécontenté ses collègues, dont deux au moins avaient surtout en vue d’empêcher, à tout prix, que le président Young fût incriminé, et qui considéraient la défense de Lee comme tout à fait accessoire. L’argumentation de Spicer accusant successivement les ordres du président, l’émotion causée par l’approche de l’armée de Johnston, la collision avec les Indiens suscitée par les émigrans, avait paru très faible et très décousue. Aussi, à la reprise de l’audience, Spicer dut-il se contenter de lire quelques lignes élaborées par l’un de ses collègues, dans lesquelles il revenait partiellement sur ses assertions du matin, et quand il eut achevé, il laissa les membres du jury fort perplexes et se demandant à quelle conclusion il avait voulu venir.

L’audition des témoins cités par la défense commença par celle de Jesse N. Smith, parent du prophète-martyr et de George A. Smith. Il déclara que dans le courant du mois d’août 1857, il avait fait une tournée dans les divers centres de l’Utah, avec George A. Smith qui prêchait et profitait de l’occasion pour recommander à ses auditeurs d’épargner leurs grains et de n’en point donner à leurs animaux, comme nourriture. Jamais il ne l’entendit faire allusion au convoi des émigrans ; lui-même céda à ceux-ci du sel et de la farine, quand ils passèrent à Parowan. Vers le 10 septembre, il fut mandé par le colonel Dame, qui avait entendu dire que les Arkansais avaient été attaqués par les Indiens et qui désirait l’envoyer aux informations. Il se rendit, en conséquence, à Cedar City avec Edouard Dalton ; il n’y entendit que des rumeurs confuses concernant cette attaque, mais à Pinto on tenait la nouvelle comme certaine; ayant été avisé, en même temps, qu’il y avait quelque danger à se rendre sur les lieux, il revint à Parowan le 12 septembre, rapporter ce qu’il avait appris à Dame qui ne fit aucune observation.

Silas S. Smith, frère du témoin précédent, confirma la déposition de celui-ci, en ce qui touchait les recommandations faites par George A. Smith de ne point donner de blé aux bêtes ; il ne l’entendit jamais conseiller de ne pas vendre de vivres aux émigrans.