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du nombre, par le suffrage universel. Mais on sait aussi qu’il n’y peut arriver que par des calculs, et que ce n’est pas pour rien que le mot a deux sens dans toutes les langues. Le grand défaut du vote plural, ce qui le condamne à n’être qu’une combinaison, et ce qui, comme combinaison même, le condamne, c’est qu’il prête à trop de calculs : or la moins soupçonneuse prudence conseille de faire dépendre aussi peu que possible des calculs des hommes d’Etat, — puisqu’eux-mêmes dépendent des partis, — l’équilibre politique de l’État.

Et ce ne sont encore que des combinaisons : le vote cumulatif, par lequel l’électeur pourrait porter sur un seul nom soit, au scrutin de liste, autant de voix qu’il a de députés à élire, soit, dans le régime plural, autant de voix que la loi lui en confère ; le vote multiple, par lequel il pourrait voter en autant d’endroits qu’il a des intérêts ou une résidence ; le vote limité, par lequel, étant donné qu’il ait quatre députés à élire, il ne pourrait voter que pour trois ; et le vote de division, tout voisin du vote limité, par lequel le premier nom porté sur chaque bulletin aurait une voix entière, le second une demi-voix, le troisième un tiers de voix.

De ces quatre combinaisons, les deux premières sont des variétés du vote plural ; les deux dernières sont des bâtards, qu’on retrouvera en leur lieu, du vote plural et de la représentation proportionnelle.

Le vote cumulatif a été ou est employé pour certaines élections locales en Angleterre, en Écosse, et dans quelques États de l’Union américaine, comme la Pensylvanieetl’Illinois ; il suppose des opinions très fermes, des partis très disciplinés et des listes pas trop nombreuses. — Le vote multiple est pratiqué dans les élections politiques ou les élections communales en Angleterre et en Autriche, en Prusse et en Italie. Il suppose ou que les élections n’ont pas lieu partout le même jour, ou que l’on peut voter par procuration ou correspondance.

Le vote cumulatif est fondé sur la liberté de la personne : libre à l’électeur de donner à qui il lui plaît toutes les voix dont il dispose. Le vote multiple fait du suffrage un droit plutôt réel que personnel ; il s’attache moins à la personne qu’à la maison ou à la terre ; il a des allures archaïques, comme s’il venait de loin dans l’histoire. d’où qu’il vienne, rejetons-le comme une forme usée et rejetons le vote cumulatif comme un expédient médiocre. Des expédiens ou des combinaisons, c’est bien ce qu’ils sont en effet, tous ces succédanés du vote plural, et des combinaisons qui peuvent, en se combinant entre elles, faire de la combinaison double : nids à surprises et sacs à malices, réceptacles d’erreurs, de fraudes et d’iniquités. Mais ce jugement serait trop