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électorales, les Chambres belges, droite et gauche, ont obéi à des préoccupations de parti, toutes prochaines, immédiates. Le fond du débat n’a pas cessé d’être : Donner le double ou le triple vote à telle catégorie de citoyens nous fera gagner ou nous fera perdre tant de voix. Le corps électoral, à la fin, s’est trouvé comprendre environ 1 370 000 citoyens de 25 ans, disposant, grâce au vote plural, de 2 110 000 suffrages. 850000 électeurs n’avaient qu’une voix ; 294 000 en avaient deux, et 223 000 en avaient trois. Au total, sur ces 2 110 000 suffrages, il y avait 850 000 voix unitaires et 1 300 000 voix plurales. — 104 conservateurs ont été élus ; en face d’eux, 20 radicaux seulement, avec 29 socialistes : le gouvernement a eu une majorité bien ronde et bien compacte. — Si l’on en juge à l’effet immédiat, d’après la politique myope des empiriques, la combinaison a donc réussi ; mais si l’on prend les choses de plus haut et si l’on découvre plus loin, ce n’est point la solution ni de la crise de l’État moderne, ni du problème de l’organisation du suffrage, et peut-être pour la Belgique même n’est-ce qu’une solution provisoire.

Car toute combinaison porte en elle-même sa condamnation, et ce que l’arbitraire a fait, l’arbitraire est, à tout instant, maître de le détruire. Et voyez à quels soubresauts, à quels bouleversemens l’Etat se verra exposé ! Si, même de bonne foi et dans des vues plus généreuses que l’intérêt actuel du parti, considérant que la stabilité, la conservation de ce qui est, est le premier besoin de la société et son premier devoir à lui, un gouvernement règle l’échelle du vote plural de telle manière que les élémens conservateurs tiennent les autres en échec et régnent, il se peut faire, à son tour, que demain un gouvernement plus hardi ou plus inquiet du mal qui travaille les peuples pense que la société a plus besoin de mouvement que de repos et que son devoir à lui est de corriger plus que de conserver : avec la même bonne foi, dans des vues non moins généreuses, il réglera l’échelle du vote plural de telle manière que les élémens progressistes ou transformistes ne soient plus comprimés, et l’emportent.

Conservateur ou progressiste, selon les heures et les hommes, l’État construit sur le suffrage plural en recevra donc une empreinte de partialité et comme de finalité électorale. Il semblera n’avoir pour objectif que de faire prédominer tels élémens sociaux sur tels autres et telle classe d’électeurs sur telle autre classe, ce qui — faut-il le redire ? — est l’opposé de la solution cherchée : ordonner le suffrage de façon à maintenir en paix et en équilibre, dans l’État, tous les élémens sociaux et toutes les classes de citoyens. On sait bien que, théoriquement, le vote plural se propose de rétablir cet équilibre, rompu, au bénéfice