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tours, — des électeurs du second ou du troisième degré, des électeurs à trois ou quatre voix, — et où, enfin, il ne s’agit que de gagner la partie. Tels sont un peu, tels apparaissent du moins, dans les lois adoptées et les projets présentés jusqu’ici, sinon dans les exposés théoriques : le suffrage à plusieurs degrés ; le vote plural sous ses diverses formes ; et les arrangemens intermédiaires qui relient le vote plural à la représentation proportionnelle : — vote cumulatif, vote limité, vote par division, vote multiple.


I. — LE SUFFRAGE A PLUSIEURS DEGRÉS

Il fut un temps — et peut-être n’est-il pas encore passé — où le suffrage à plusieurs degrés rencontrait une grande faveur, surtout dans le « juste milieu » de l’opinion, parmi les gens que choque et froisse la grossièreté du suffrage universel direct, et qui ne croient pas que la démocratie ait elle-même tant de vertus qu’elle puisse faire fi de la raison, comme c’est s’en moquer que d’attribuer au plus capable des citoyens et au moins capable, non pas seulement, en principe, le même droit, mais, en pratique, absolument la même fonction. Le suffrage à deux ou à plusieurs degrés, — par lequel les électeurs nomment d’autres électeurs qui nomment les membres du Parlement, — est donc de toutes les « combinaisons » celle qui, à première vue, semblerait le mieux convenir à un régime où l’on aurait souci de mettre d’accord le sens démocratique avec le bon sens. C’est la solution rationaliste ou doctrinaire : solution moyenne qui ne bouleverse rien et n’épouvante point par sa nouveauté ; chère, par là même, aux esprits moyens et, dans leur ensemble, aux classes moyennes ; formule pour ainsi dire « bourgeoise » de la démocratie et du suffrage universel.

Elle a, d’ailleurs, le mérite, devenu rare et précieux en politique, de reposer, théoriquement, sur une idée juste : à savoir que l’élection est de son essence ou devrait être un choix. Et voici comment sur cette vérité, sur cette idée juste, s’échafaude la « combinaison » du suffrage à plusieurs degrés. Puisque l’élection est essentiellement un choix, la condition indispensable pour que l’élection soit bonne et le choix bien fait, c’est que celui qui choisit connaisse bien celui qui est choisi, et qu’il le prenne au plus près de lui. Dans le régime parlementaire actuel, et, en général, dans le gouvernement représentatif, le nombre des élus étant nécessairement très limité, d’une part, et, d’autre part, le nombre des électeurs étant nécessairement fort étendu, il ne se peut pas que tous les électeurs soient assez près des élus, ou des éligibles, pour les bien connaître. Mais ils sont tous plus près