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et le travail à une certaine aisance, qui par cela même ont montré, en moyenne, une certaine supériorité intellectuelle et volontaire, sont précisément celles qui s’éliminent elles-mêmes par la stérilité voulue. Au contraire, l’imprévoyance, l’inintelligence, la paresse, l’ivrognerie, la misère intellectuelle et matérielle sont prolifiques et se chargent, pour une bonne part, du recrutement national. On a dit avec raison que, si un éleveur procédait ainsi, il arriverait vite à la dégénérescence de ses bœufs ou de ses chevaux[1].

La diminution de la natalité est la plus sérieuse des raisons qui nous ont fait accuser de dégénérescence. Rien de plus difficile que de savoir si elle n’a que les causes volontaires précédemment énumérées, ou si elle a aussi en partie une cause involontaire et physiologique[2]. Un des meilleurs moyens qu’on ait proposé pour résoudre cet inquiétant problème, c’est la comparaison du mouvement de la natalité avec celui de la masculinité. Les familles qui restreignent volontairement le nombre de leurs enfans désirent de préférence des garçons; souvent même, si le premier né est du sexe masculin, les époux s’arrêtent et n’ont plus d’autres enfans. Il en résulte que, là où la restriction de la natalité est purement volontaire, la masculinité doit augmenter. Quand, au contraire, le nombre des enfans mâles diminue, il y a présomption en faveur d’un épuisement[3]. Ces principes étant posés, que peut-on en conclure relativement à la France entière ? Voici les faits. Bien qu’en France le nombre des enfans par ménage ait constamment diminué depuis un siècle, bien que, par suite, la proportion des fils uniques ait augmenté, nous voyons que la

  1. Voir M. Cheysson, l’Affaiblissement de la natalité française.
  2. Voir sur ce point, outre les pages de Guyau dans l’Irréligion de l’avenir, celles de M. Tarde dans ses Études pénales et sociales, le livre de M. Dumont et son article dans la Revue Scientifique de juin 1894.
  3. C’est en effet dans l’âge de la force, depuis vingt-six jusqu’à cinquante ans, que les pères engendrent le plus de garçons. Lorsqu’une race végétale ou animale est affaiblie, menacée même dans son existence, c’est du côté masculin que la stérilité produit d’abord ses effets. Chez les végétaux hybrides, qui ne se reproduisent que difficilement entre eux, il reste habituellement un assez grand nombre de fleurs possédant des ovules bien conformés, tandis que les anthères sont atrophiées et le pollen presque inerte. Dans les communes françaises auxquelles l’émigration (causée souvent par le phylloxéra) enlève la partie la plus valide de la population, on voit aussitôt diminuer simultanément la natalité et la masculinité, ce qui indique que la diminution des naissances y est elle-même due à des causes involontaires. Dans certains départemens, comme le Gers, une natalité très faible s’allie au contraire à une masculinité très élevée ; c’est la preuve que la faiblesse de la natalité tient à des causes volontaires. Les campagnes présentent plus de naissances masculines que les villes, et celles-ci que les capitales; et cependant les villes et les capitales sont le séjour des ménages les plus attentifs au self-restraint, et qui se contentent même d’un garçon. C’est une preuve que la diminution de la natalité dans les villes n’est pas uniquement due à la volonté, mais aussi à la fatigue physiologique. (Voir l’intéressante étude de M. Dumont dans la Revue Scientifique, juin 1894.)