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complète fusion de ces élémens demanderait des années. Tant qu’elle n’est pas faite, un certain trouble se produit au sein du caractère national.

De plus, au point de vue ethnique, les anthropologistes croient que la proportion de nos races composantes se modifie. Tout le long de notre histoire, nous avons fait une énorme dépense des Gaulois dolicho-blonds, par les guerres où ils se sont fait décimer; nous en avons envoyé, par l’édit de Nantes, des familles entières à l’étranger, parmi les meilleures et les plus morales; la Révolution, à son tour, en a décapité des masses, en attendant que l’Empire semât la partie la plus vigoureuse de la population entière sur tous les champs de bataille. Les longues guerres ont toujours, sur les peuples, des effets désastreux; l’un des principaux est la disparition ou la diminution de la partie la plus valide, de celle qui, en faisant souche, eût le mieux conservé la vigueur physique et mentale de la race. Supposez, selon la remarque de M. de Lilienfeld, qu’un troupeau fût exclusivement défendu par ses membres les plus forts et les plus jeunes, tandis que les plus faibles et les plus âgés seraient en dehors de la lutte et presque seuls à se reproduire, il est clair qu’au bout d’un certain temps le troupeau serait en dégénérescence : la sélection opérée à rebours produirait un abaissement du ton vital. Il en est de même pour les peuples : les victoires leur coûtent aussi cher que les défaites. Une des raisons qui font que l’Angleterre a conservé, dans sa population, une plus grande vigueur physique, une taille plus haute, une race plus pure que les autres nations, c’est que sa situation insulaire lui a permis de prendre une part relativement faible aux guerres continentales, de ne pas user tout ensemble ses finances et son capital humain à l’entretien d’armées permanentes et à des massacres internationaux. De même, se tenant depuis longtemps en dehors de nos luttes, la Scandinavie a conservé une race forte et saine. La France, au contraire, a usé le meilleur de sa richesse virile en batailles et en révolutions, L’Allemagne a subi des saignées analogues. Les peuples qui tirent l’épée périront par l’épée ; ils ne versent le sang des autres qu’en épuisant le leur. C’est vraiment aux pacifiques que la terre appartient, car les belliqueux s’éliminent par extermination mutuelle. De nos jours, une longue guerre généralisée compromettrait la vitalité de la race et chez les vaincus et chez les vainqueurs. Une guerre de la France et de la Russie contre la triple alliance ne serait pas seulement la ruine économique, mais la ruine physiologique des nations belligérantes, sauf la Russie, dont les ressources en hommes sont immenses, L’Angleterre, pour bénéficier de cette ruine générale, sous le rapport industriel,