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V

Après l’influence de la société romaine, la race gauloise subit celle des francs ; mais il faut bien comprendre la nature de cette influence. Il y a une idée qui, depuis plus de cent cinquante ans, s’était insensiblement enracinée dans les esprits des historiens : c’est celle qui représentait l’Empire romain comme un despotisme pur, avec toute la corruption morale qui en résulte, et la vieille Germanie comme la pure liberté, comme la terre de la vertu. Fustel de Coulanges aura l’honneur d’avoir montré que la première assertion n’était « qu’à moitié vraie », et la seconde fausse. De même, dit-il, qu’on s’est figuré une Angleterre qui avait toujours été sage, toujours libre, toujours prospère, on a imaginé une Germanie, une Allemagne toujours laborieuse, toujours vertueuse, intelligente. Dès lors, l’invasion franque et germanique nous apparaissait comme une régénération de notre race et même de l’espèce humaine. Les Allemands n’ont pas manqué de représenter leurs ancêtres comme les grands purificateurs de la corruption latine, et nous avons fini par les croire sur parole. « Nos théories historiques, concluait Fustel de Coulanges, sont le point de départ où toutes nos factions ont pris naissance ; elles sont le terrain où ont germé toutes nos haines. » francs et Germains n’ont ni régénéré ni vraiment transformé la Gaule. Ils étaient aussi corrompus que pouvaient l’être les Romains, et, de plus, leur corruption était barbare. Ils ne possédaient « ni vertus vraiment particulières ni institutions absolument originales. »