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celte ; ils soutinrent au besoin César. Au reste, dix ans de guerre acharnée et meurtrière avaient fait en grande partie disparaître de la Gaule l’élément guerrier et inquiet par excellence, les chefs et combattans galliques ou germaniques d’origine. Après une telle perte de sang, la race des dolicho-blonds se trouvait nécessairement épuisée ; restait le troupeau plus docile des Celtes, pacifique de nature, disposé à prendre son parti de l’inévitable, fatigué surtout de la tyrannie aristocratique, et ne demandant pas mieux que de changer ses nombreux maîtres, trop bien connus, pour un seul, qu’il ne connaissait pas. Comment donc un pays divisé d’esprit par l’opposition des races, des classes, des peuples, aurait-il triomphé du plus grand capitaine des temps anciens ? En outre, Plutarque rappelle que César avait déjà pris en France plus de huit cents villes, soumis plus de trois cents peuples, combattu en divers temps contre trois millions d’hommes, sur lesquels un million périt en bataille rangée et un million fut réduit en captivité ; un écrivain romain compare la Gaule épuisée à un malade qui, ayant tari son sang, a perdu jusqu’à l’espérance. On peut donc dire que, plus la résistance finale fut centralisée et ramenée à l’unité, plus elle s’exposait à être brisée d’un seul coup : elle n’acheta l’intensité qu’au prix de la durée.

Une fois vainqueur. César trouva bientôt des alliés chez ses ennemis de la veille ; n’est-ce pas la « légion des alouettes » qui l’aida à fonder l’Empire ? Ne lui reprochait-on pas d’avoir, « du haut des Alpes, déchaîné la furie celtique », introduit des Celtes jusque dans le Sénat, si bien que la « braie gauloise », disait-on, avait envahi les tribunes romaines ? Les vaincus finirent par s’enthousiasmer pour leur vainqueur, montrant ainsi leur facilité à suivre les grands génies de guerre, à s’éprendre pour un homme, à admirer toute puissance qui les tient en respect, si cette puissance est en même temps intelligente et affecte les dehors de la générosité. Le Bonaparte latin leur avait persuadé qu’à force de vivre au milieu d’eux, il était devenu Gaulois comme eux ; le César corse, qui avait commencé par haïr profondément les Français, leur persuada de même qu’il était la France personnifiée[1].

Ce dont les Gaulois avaient le plus besoin, c’était d’unité : si, avant la conquête romaine, ils possédaient plus d’indépendance, ils eurent à la suite plus de cohésion. L’esprit politique, avons-nous

  1. On connaît ce mot de Voltaire : « Vous ne passez pas par une seule ville de France, ou d’Espagne, ou des bords du Rhin, ou du rivage d’Angleterre, où vous ne trouviez de bonnes gens qui se vantent d’avoir eu César chez eux. Chaque province dispute à sa voisine l’honneur d’être la première en date à qui César donna les étrivières. » Tous les peuples admirent celui qui les châtie bien, qu’ils soient Celtes ou Germains.