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italiennes assez nombreuses, mais elles étaient peu fortes, et, de plus, le contingent des colons amenés à l’origine ne semble pas avoir été renouvelé. On a évalué à trente mille le nombre des colons romains établis par César et Auguste[1]; doublez ce nombre, si vous voulez, triplez-le; ajoutez-y les négocians, les industriels, les fonctionnaires, les esclaves, vous n’aurez encore que de faibles chiffres d’immigration romaine. Même en Provence


Les blondes Grecques d’Arle aux yeux de Sarrazines


ne sont probablement ni grecques ni sarrazines. On peut pourtant reconnaître, à Arles et ailleurs, quelques restes du type romain; mais où est « le sang latin » de la France?


IV

Si on a pu nommer la France une nation néo-latine, c’est uniquement en raison de sa culture et de son éducation, par conséquent du nouveau milieu social produit par la conquête. De tous les peuples réduits par Rome, le plus vite assimilé fut assurément le peuple gaulois. Les Romains eux-mêmes en furent frappés. Bien plus courte fut la résistance en Gaule qu’en Espagne. Faut-il attribuer ce fait au caractère de la race? Il semble bien qu’en effet, capables d’un effort intense, les Gaulois l’étaient moins d’un effort soutenu. Intense, leur élan le fut, de manière même à épuiser presque en une fois les réserves de forces nationales. Quand Vercingétorix tenta la dernière résistance, il y eut, dit César, « une telle ardeur unanime pour reconquérir la liberté et pour ressaisir l’ancienne gloire militaire de la race, que même les anciens amis de Rome oublièrent les bienfaits reçus d’elle, et que tous, de toutes les forces de leur âme et de toutes leurs ressources matérielles, ne songèrent plus qu’à se battre. » César exagère un peu. La Gaule ne se souleva pas à la fois tout entière. Les Ibères attendirent qu’on vînt les attaquer chez eux; le Midi ne « bougea » pas. Vercingétorix ne réussit point à entraîner tous les chefs. Ce fut surtout la plèbe celtique, opprimée par les légions et par les négocians d’Italie, qui soutint la cause de l’indépendance. L’aristocratie ne fut maintenue dans le devoir par Vercingétorix qu’à force de supplices, et dès que le héros fut vaincu, elle se soumit. Les membres du parti aristocratique préféraient la domination romaine à la menace de la démocratie

  1. Voir Gallia, par M. Jullien; Paris, Hachette, 1894.