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diffusif, qui, en se joignant à l’influence nerveuse, maintient celle-ci en dedans. Ces traits s’accusent à mesure qu’on descend davantage vers l’Afrique. Les Méditerranéens de la Ligurie primitive (plus tard envahie par des têtes larges) étaient appelés par les Romains du nom d’indomptables ; les Ibères d’Espagne firent aux Romains la résistance la plus longue et la plus désespérée : qui ne se rappelle l’héroïsme des Numantins ? Opiniâtre, patiente, vindicative, la race ibérienne est moins sociable que les autres, plus amie de la solitude et de l’indépendance. Les Ibères se tenaient volontiers à l’écart ou restaient divisés en petites tribus montagnardes. Les Méditerranéens de Provence et d’Italie étaient moins farouches et moins concentrés que ceux d’Espagne ; ils avaient et ont encore la souplesse d’esprit, l’humeur gaie et vive, un plus grand besoin de camaraderie et de vie en commun. On a même prétendu que ces Méditerranéens sont « urbains par excellence », c’est-à-dire attirés par la vie des villes ou des bourgs, foncièrement ennemis de l’existence rustique ; ils ont besoin de causer, de commercer dans tous les sens du mot, de manier les affaires et l’argent ; ils ont quelque chose du Sémite, dont ils sont parens. Selon quelques anthropologistes, le Méditerranéen, — homo arabicus de Bory, Berbère, Ibère, Sémite, — serait un croisement de l’homme européen avec des tribus noires du nord de l’Afrique, très intelligentes et elles-mêmes dolichocéphales. Toujours est-il que le croisement de l’Ibère avec le Celte a produit le Gascon, pétillant de vivacité, fin et spirituel, moqueur et beau parleur ; le Languedoc, « violent et fort », est une Espagne gauloise et même une Afrique ; la Provence « chaude et vibrante, toute grâce et toute flamme »[1], est une Italie expansive et ouverte, gaie, légère, pour ainsi dire hellénisée en même temps que celtisée. La part des Méditerranéens ou, si l’on veut, des Méridionaux, fut en somme, bien plus considérable en Gaule qu’en Germanie. Au de la du Rhin et sur le Danube s’étendaient d’épaisses couches de Celtes, qui y subsistent encore et s’y accroissent ; mais, outre que l’élément blond y était jadis plus prédominant, l’élément méditerranéen y faisait souvent défaut. De là en Germanie (si on veut des formules ethnologiques) un ensemble qu’on peut appeler germano-celtique, au lieu d’un ensemble celto-méditerranéen-germanique, comme en Gaule.

Cette fusion de trois races devait finir par former chez nous une harmonie rare et précieuse, une sorte d’accord parfait où le Celte donne la tonique, le Méditerranéen la médiante et le Germain

  1. Voir M. Lanson, Histoire de la Littérature française.