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dûment informée qu’en 1870 l’orientation intellectuelle de l’humanité était incertaine, et que la prise de Rome en décida.

Que devient en tout cela, me direz-vous, la question nationale? Elle recule. Sur le haut du pavé, deux inter nationalismes sont aux prises. La caduta del potere teocratico a été plus acclamée que l’Italia libera ; publicistes et clubistes ont moins fêté l’affranchissement de leur pays que l’affranchissement de l’univers. Reprenez les volumes de Taine sur la Révolution; relisez-y, au bas des pages, les déclamations des Jacobins sur la mission de la France révolutionnaire. On vient d’entendre, à Rome, à peu près le même air, avec une chanson un peu différente, et qui vise, non point encore, comme chez nous il y a cent ans, l’idée monarchique, mais l’idée religieuse. « L’Italie rachetée se tient à l’avant-garde de l’humanité affranchie. » Voilà des phrases qui nous paraissent vieillottes ; elles sont courantes, dans les manifestes qui fêtèrent le 20 septembre ; une certaine irreligion les inspire, une certaine mégalomanie les applaudit; elles satisfont chez beaucoup de gens, même intelligens, un prurit de grandiloquence, même inintelligible.

« Le XX septembre. Ode : » aux nombreuses productions poétiques qu’il a déjà données, M. Mario Rapisardi vient d’ajouter celle-là. On y trouve du souffle, de la vigueur, de l’optimisme. « Par cette brèche s’élance, lumineux, le siècle nouveau. Peuples, écoutez. » Voilà les premiers vers. Et voici les derniers : « Là où César et Pierre ont jadis régné, que règne enfin... » Vous vous attendez à lire « Savoia ». Détrompez-vous. « Là où César et Pierre ont jadis régné, que l’homme règne enfin. »

C’est à Catane que M. Rapisardi a publié son ode. En Sicile plus encore que dans la péninsule, il y a des hommes qui souffrent, et cruellement. Pauvres êtres minuscules broyés dans les collisions de la vie économique, ils tournent leurs regards vers Humbert Ier qu’ils savent dévoué à tout son peuple, et vers une reine dont la grâce exquise est une souriante promesse de bonté. Quant à cette autre façon de souverain, l’homme, prétentieux successeur de César et de Pierre, ils se moquent bien de son règne. Jusques à quand cette entité, dont un philosophisme appauvri dessina jadis les contours, et dont au jour le jour les sectes gonflent le vide, non contente de se vouloir mesurer avec Léon XIII, disputera-t-elle le trône à la noble maison de Savoie?