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représenté la série des avatars qu’il pouvait traverser et des postures qu’il pouvait prendre ; seulement le Dieu de Leibnitz arrêta son choix une fois pour toutes; M. Crispi, au contraire, nature éminemment riche, a décidé de se diversifier et de faire passer sous les yeux de l’univers étonné la totalité des imprévus qu’il a d’avance concertés. Après le coup de théâtre du Janicule, combien nous en ménage-t-il encore ? Lui seul le sait. Dieu veuille que d’un prochain tiroir la guerre européenne ne surgisse pas ! Au Janicule, le 20 septembre, c’est l’épouvantail d’une guerre religieuse qui s’est dressé.

La coupole de Saint-Pierre, les murailles du Vatican, se profilaient à l’horizon; le ciel était d’une belle sérénité bleue, sous réserve d’un tout petit nuage. Un collaborateur de la Tribuna, que cette bavure céleste inquiétait (nous sommes toujours, ici, sur la terre des augures), était non moins attentif à la marche du signe aérien qu’à la statue de Garibaldi. Il écrivait le soir même dans son journal : « Singulière combinazione ! Précisément à l’instant où le monument fut découvert, un rapide petit nuage a projeté son ombre sur la coupole vaticane. » La combinazione fut évidemment concertée entre Dieu et M. Crispi.

Car voici la thèse qu’a soutenue ce dernier ; indiquons-en le fond avec le même recueillement qu’en inspire la forme. M. Crispi a établi que « la catholicité devait être reconnaissante à l’Italie, » que l’Italie « a réalisé le volonté du Très-Haut, » et qu’enfin, grâce à l’Italie, « la loi éternelle » a été accomplie. « Ils ne manquent point, a-t-il ajouté, les audacieux qui s’opposent au Seigneur; et, nous devons le dire avec un vrai serrement de cœur, ce sont ceux qui se disent ses ministres. » Les souverains écoutaient, les garibaldiens écoutaient, les francs-maçons écoutaient. Habitués aux anathèmes de la chaire, ces derniers se purent croire visés lorsque M. Crispi dénonça les ennemis du Très-Haut. La fin de la phrase les rassura : il s’agissait seulement du pape et des prêtres. En fait, c’était un sermon à la cantonade, destiné à être lu sur la colline voisine.

Il y a été lu. On sait maintenant au Vatican, grâce aux menaces qui terminèrent le discours, que la loi des garanties est sujette à révision; et précisément parce qu’on s’en doutait, on n’avait jamais voulu, depuis un quart de siècle, reconnaître au Parlement le droit de faire une telle loi et se mettre à la merci des caprices successifs des majorités ou, pour mieux dire, des premiers ministres.

En affirmant l’existence de son collaborateur Dieu, M. Crispi a pu choquer les athées. Les croyans n’admettent pas la collaboration. Les amis de la paix religieuse, comme M. di Rudini, sont