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pour inaugurer la statue de Garibaldi. Le grand condottiere fut le vrai héros de cet anniversaire. On a commencé d’ériger un monument à Victor-Emmanuel sur le Capitole ; mais il est loin d’être achevé. Les survivans de Gaëte et de Mentana viendront-ils en aussi grand nombre lorsque le roi galant homme essaiera son cheval de bronze? M. Crispi, qui sait les coquetteries commandées par la politique, a jugé nécessaire de placer le nom de Victor-Emmanuel dans la première phrase de son discours sur Garibaldi. Il a parlé, ensuite, des « deux astres : le Roi et Garibaldi. » Les paroles s’envolent, les statues restent. Pour l’instant, sur l’horizon des sept collines, un seul de ces astres resplendit. La monarchie accorde beaucoup de préséances à la « démocratie » ; la « démocratie » les rendra-t-elle à la monarchie? Il semblerait, à lire certains journaux aimés des redici, que ce qui présentement leur paraît le plus urgent, c’est l’érection d’une statue à Giuseppe Mazzini.

Le 22, le 24, un Cavour de bronze, un Minghetti de bronze, furent à leur tour découverts. La foule était moins nombreuse, à leur ombre, qu’à l’ombre de Garibaldi. Devant les faits d’armes et le manteau romain du vieux héros, leurs services et leurs redingotes pâlissent; mais la monarchie s’honore en ne les oubliant point. Le Piémont, spécialement, sera reconnaissant des hommages rendus à Cavour. S’associant, en revanche, à l’indifférence de beaucoup, M. Crispi a gardé le silence devant la statue du grand ministre. On a prêté au président du conseil je ne sais quelle jalousie rétrospective; pourquoi chercher si loin, et pourquoi s’étonner si M. Crispi, homme du Midi, épris du bruit, n’a qu’une médiocre intelligence de la nature de Cavour, homme du Nord, négociateur épris du mystère?


IV

La « démocratie italienne » n’a pas seulement arboré des emblèmes politiques, mais aussi des emblèmes religieux. Ce ne sont pas des benêts de séminaire, savamment hallucinés, ce sont cent vingt mille témoins, venus de toutes les parties de l’Italie, qui ont vu flotter, dans toutes les cérémonies du 20 septembre, et parfois en avant des drapeaux mêmes de l’armée, quatre-vingts étendards des loges maçonniques. Le fait est d’importance; et des généraux peu suspects de papisme se sont respectueusement plaints au roi. Jusqu’à ces derniers temps, les associations de cet ordre avaient le verbe assez haut pour s’imposer à l’attention des gouvernans et l’attitude assez discrète pour échapper à l’attention des gouvernés : sage maxime, et d’excellente politique,