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Vers le milieu du Ier siècle de notre ère, l’intérêt du public pour la musique d’ensemble s’accroît au point que l’on organise des fêtes sans aucun mélange de représentation théâtrale. « Dans nos concerts, écrit Sénèque, il y a plus d’exécutans qu’il n’y avait jadis de spectateurs dans les théâtres. » Les plus hautes classes de la société ne se contentent plus de jouir oisivement de la musique, elles la pratiquent elles-mêmes. Norbacus Flaccus, consul en l’an 19, est un zélé trompettiste ; Calpurnius Pison, un cithariste remarquable ; Caligula chante et danse ; Titus joue des instrumens à cordes avec une rare distinction. On sait que la belle voix et le talent de Britannicus excitèrent tout d’abord la jalousie de Néron. Quant à celui-ci, ce n’est qu’à force de volonté et d’efforts qu’il parvint à tirer parti d’une voix de baryton naturellement caverneuse et gutturale : « Sur la fin de sa vie, nous dit Suétone, Il fit vœu, dans le cas où l’empire lui resterait, de paraître aux jeux qui seraient célébrés pour fêter sa victoire, d’y jouer de l’orgue, du chalumeau chorique, de la cornemuse, et d’y représenter en pantomime le Turnus de Virgile... »

Au siècle suivant, Trajan interdit la pantomime à Rome, mais en Grèce il fonde des concours de solistes. Une réaction se produit alors : Adrien envoie des troupes d’artistes dionysiaques courir l’immense territoire de l’empire jusque par de la les Alpes, dans l’extrême Nord. Outre les scènes de tragédie chantées et jouées par un seul artiste, le répertoire scénique avait alors repris pour base les drames d’Euripide, exécutés en partie avec leur musique primitive : au moins est-on fondé à tenir cette dernière circonstance pour très probable, quand on considère que Denys d’Halicarnasse (le Jeune) et Lucien de Samosate parlent de certaines mélodies du grand tragique comme étant parfaitement connues de leurs lecteurs. » Au IIIe siècle, nous voyons Caracalla élever un tombeau à Mésomède pour les progrès par lui apportés à la technique des instrumens à cordes ; Héliogabale chanter, sonner de la trompette, toucher de l’orgue; Alexandre Sévère jouer de la lyre, du chalumeau, et aussi de la trompette et de l’orgue, à l’exemple de son prédécesseur. Sous le règne éphémère de Carin et de Numérien, on donne un concert où sont réunis cent trompettes, cent joueurs de chalumeaux courbes, centchoraules, cent aulètes solistes et mille acteurs de pantomime.

Voilà maintenant la capitale de l’empire transférée à Constantinople (330). Les Césars sont devenus chrétiens, mais il se gardent de supprimer ou de restreindre les spectacles traditionnels, auxquels la grande majorité des adhérens de la nouvelle religion ne se montre pas moins passionnément attachée que la population païenne. Il est assez curieux de constater que, justement vers le milieu du IVe siècle, les femmes, exclues jusque-là de toute participation à l’art dramatique.