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I

Jusqu’à la guerre du Péloponnèse, la musique n’est en Grèce qu’un assaisonnement de la poésie. Elle a mission d’éveiller dans l’âme de l’auditeur le sentiment et les idées propres à faciliter l’intelligence parfaite de l’œuvre poétique, celle-ci restant l’objet principal autour duquel viennent se grouper tous les élémens d’exécution. Pendant la période classique, tout est toujours disposé pour donner le plus de relief, le plus d’intensité possible à la parole. Et jusqu’à la fin de cette période, le poète composera toujours lui-même la musique de ses drames : il ne viendra jamais à l’esprit d’Eschyle, de Sophocle ou d’Euripide, de confier à autrui le soin de traduire dans le langage des sons les battemens de cœur de leurs personnages.

La même phrase parlée, qui serait à peine perceptible dans une vaste enceinte, devient parfaitement intelligible au spectateur même le plus éloigné, dès qu’elle est musicalement déclamée. Nous pouvons nous en rendre compte par le simple répons d’un enfant de chœur sous les voûtes de nos grandes cathédrales, ou mieux encore par les commandemens militaires de nos officiers de cavalerie au champ de manœuvre. Mais il ne faut pas traiter polyphoniquement les voix si l’on veut laisser en évidence le texte du poète. Aussi le chœur antique ne procédait-il jamais qu’à l’unisson ou à l’octave. Seuls, les instrumens qui l’accompagnaient se permettaient de timides commentaires, soit au-dessus, soit au-dessous du chant, sorte de contrepoint fort rudimentaire et souvent improvisé. Et encore le public protestait-il parfois. Platon demande que cet accompagnement polyphonique soit laissé aux musiciens de profession, et qu’on en supprime l’étude dans le plan d’éducation des citoyens, ceux-ci ne devant s’accompagner sur la cithare qu’en redoublant le texte vocal.

Mais bientôt, avec Euripide, la conception générale de l’œuvre dramatique se transforme : le chœur perd de son omnipotence et fait place aux solistes. La musique tend à prendre une situation indépendante. Les héroïnes d’Euripide chantent beaucoup : désormais l’acteur qui jouait cette sorte de rôle sera doublé d’un bon chanteur, — car c’était un homme qui représentait tour à tour Hélène ou Iphigénie, Phèdre ou Alceste. Chez Euripide, chaque fois qu’il y a une émotion violente à exprimer, un cri du cœur à noter, l’ïambe fait place à des vers mélodiques. De là ces récits déclamés, ces duos précurseurs de nos morceaux d’opéra, élémens caractéristiques de la tragédie nouvelle.

L’orchestre d’alors se composait de deux familles instrumentales : les cordes et les vents.