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virtuose aimait à se faire admirer. Il n’en est rien, et quand on étudie de près les discours de Guillaume II, on se convainc qu’en pratiquant avec succès l’art oratoire, il s’acquitte d’une obligation que lui a imposée sa conscience. Nous vivons dans un temps où les gouvernans ne peuvent se dispenser de parler; mais, pour que le gouvernement par la parole soit conforme aux règles d’une saine politique, il faut que ce soit le souverain qui parle : le droit d’être écouté n’est pas la moins précieuse de ses prérogatives. Ce commerce incessant qu’il entretient avec la nation est le seul contrepoids efficace au parlementarisme. Un empereur qui néglige de haranguer la nation, de lui faire connaître ses idées sur les événemens, sur la situation, sur les cabales des partis, de l’admonester, de l’exhorter, de la mettre en garde contre les mauvais conseils, oublie qu’il a charge d’âmes, que le premier de ses devoirs est de faire l’éducation de ses sujets, et ce qui est plus grave, il laisse croire qu’il tient à s’effacer devant ses ministres, tandis que le principe d’autorité veut qu’il les contraigne à s’effacer sans cesse devant lui. Quand le gros bourdon se met en branle et sonne à la volée, on n’entend plus tinter les petites cloches.

Il faut convenir toutefois que cette méthode royale a ses inconvéniens. Un roi qui parle beaucoup s’expose à ce que ses sujets com- mentent, épiloguent, épluchent ses harangues, ses homélies et ses réquisitoires, et dans un pays où la presse est libre, il doit s’attendre à être traité parfois avec un peu d’irrévérence. Au mois de juin 1891, le comte Hohenthal signalait à la Chambre des seigneurs de Prusse comme un fait insolite et fâcheux la liberté que prenaient les journaux de mêler l’empereur à leurs débats et de le prendre à partie : « C’est un phénomène tout nouveau, disait-il, que de voir la personne du souverain mêlée aux discussions publiques. » Un journal de Berlin répondit avec quelque raison qu’un monarque qui désire demeurer en dehors et au-dessus de tous les débats ne doit jamais parler que par la bouche ou avec l’assentiment de ses ministres responsables. Dans presque toutes les monarchies du monde, le principe que le souverain règne et ne gouverne pas n’est qu’une fiction ; mais cette fiction tutélaire est respectée des souverains : ils ont la main dans beaucoup d’affaires, ils n’ont garde de la laisser voir. Guillaume II, tout au contraire, affecte en toute rencontre de se découvrir et de déclarer que c’est lui qui couvre ses ministres. Il devrait être tolérant pour les étourdis qui s’attribuent le droit de réplique ; il se montre cependant fort sensible à leurs attaques, et dernièrement des journalistes ont été arrêtés pour s’être permis de critiquer l’un de ses toasts. Comme le disait Voltaire, tous les gouvernemens des hommes sont des contradictions.

Beaucoup d’Allemands se plaignent aussi que, quoique leur empereur aime à parler, il se soucie peu de satisfaire leurs curiosités, qu’ils ne