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les appréciations formulées dans un ouvrage, d’ailleurs fort remarquable, qu’a publié M. de Villaret sur le Japon : « La religion n’existe plus, dit-il; les idées d’honneur, de dévouement, de désintéressement qui caractérisaient les classes supérieures, qui faisaient des samouraï une caste à sentimens élevés, héroïques, surhumains parfois, ont fait place trop généralement aux aspirations les plus vulgaires. » Si nous ne trouvions dans cette phrase un mot exotique, nous pourrions croire (que l’auteur fait le procès au monde moderne tout entier.

Les vertus propres à l’âge féodal se sont en effet partout éclipsées, parce qu’elles étaient peu compatibles avec les luttes actuelles. En revanche, les Japonais ne reverront plus ni ces brigands célèbres, chevaliers errans du crime, dont les aventures peu édifiantes ont défrayé les romanciers et les artistes, ni les seigneurs cruels et efféminés qui terrorisaient leurs vassaux. Le moyen âge est clos pour le Japon. Des vertus nouvelles sont nées chez ses habitans dont il n’est que juste de leur tenir compte : l’amour du droit et le respect de la parole donnée, le patriotisme, le sentiment de la discipline, le goût de la science.

Les Japonais aiment leur patrie avec une passion qui peut n’être pas toujours parfaitement éclairée, mais à laquelle il faut rendre hommage, même lorsqu’elle se traduit en actes d’hostilité vis-à-vis des étrangers. En 1886, quelques Japonais périrent dans le naufrage d’un navire anglais par la faute du commandant. Du nord au sud, et jusque dans les campagnes, le mouvement d’indignation fut général, et la pression de l’opinion publique força la cour anglaise à punir les coupables. En 1887, le gouvernement ouvre une souscription gratuite pour l’achat de navires de guerre, et encaisse six millions de francs, somme considérable pour le pays. Nous nous abstiendrons de citer les traits d’héroïsme individuel qu’ont relatés les journaux au cours de la dernière guerre. Bornons-nous à rappeler que, du jour où les hostilités ont été ouvertes, le gouvernement a trouvé non seulement dans la masse de la population, mais même dans la presse indépendante et dans la fraction hostile du Parlement, le concours le plus dévoué.

Le patriotisme des Japonais devait les conduire de bonne heure à réorganiser leur armée et leur flotte. Aussi les premiers efforts du gouvernement impérial se portèrent-ils de ce côté après la restauration de 1868. Toutefois nous nous abstiendrons d’insister sur cette réorganisation. Après les nombreux articles publiés sur ce sujet, deux mots suffisent. M. de Villaret, qui fut l’un des officiers français engagés pour l’instruction des troupes japonaises,