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peignait M. Bousquet. Le mariage, le concubinat et l’adoption en forment la base. Le pouvoir de son chef est limité en fait par la nécessité de consulter les parens dans les circonstances graves. Il a sous son autorité une femme de premier rang et quelquefois une ou plusieurs épouses de second rang, des enfans et des frères ou sœurs cadets. Le chef mort est remplacé, sauf indignité ou incapacité, par l’aîné des enfans. Cet état dure depuis des siècles, mais des signes précurseurs permettent de prévoir quelques changemens. Sans jouir encore du droit de contrôle qu’elle s’attribue chez nous, l’autorité publique intervient, dans les relations familiales, beaucoup plus souvent qu’autrefois et sous une forme nouvelle. Tout doucement les tribunaux font passer dans leur jurisprudence nos principes juridiques. L’état civil prend une précision qui lui manquait. Le mariage n’est pas encore, comme chez nous, l’œuvre d’un officier public; mais il doit être déclaré à la mairie dans les trois jours. La tutelle s’organise. En un mot la famille n’est plus un groupe fermé aux regards de l’Etat : la porte s’entr’ouvre.

La femme japonaise aspire à prendre chez elle et dans la société une place qui lui avait été refusée jusqu’ici. Longtemps elle s’est montrée réfractaire aux idées nouvelles, mais, depuis dix ans, les choses ont bien changé. Les réformes des programmes d’enseignement ont insensiblement produit leur effet. Voici que les jeunes filles apprennent le français ou l’anglais, lisent nos écrivains et envient la situation que font nos mœurs à leurs sœurs d’Europe. Des revues se sont fondées, qui tiennent à la fois du Journal des demoiselles et du Droit des femmes, c’est-à-dire mêlent les modes aux revendications féminines. S’il est d’ailleurs difficile de savoir jusqu’à quel point ces revendications trouvent de l’écho, on peut aisément en revanche constater le succès des toilettes étrangères. Dans les bals, par exemple, le costume national avait, en 1888, presque entièrement disparu. L’impératrice y figurait avec des ajustemens venus de Paris ou de Berlin. La réaction qui s’est, paraît-il, manifestée vers 1890, sera fatalement éphémère. Ce sont, il faut bien le dire, les hommes qui ont donné l’exemple. Non qu’ils préfèrent nos vêtemens aux leurs; mais ils savent qu’en dépit du proverbe on juge le moine sur l’habit, et que la robe japonaise, si elle ne crée pas la différence entre eux et les Européens, la souligne du moins aux regards. La crainte du pittoresque est, à leurs yeux, le commencement de la sagesse.

Le régime des biens a subi, depuis 1868, une subversion totale. Le domaine éminent qui appartenait au souverain ou aux seigneurs sur les terres est supprimé. La propriété libre, telle