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et les tailleurs gagnent de 2 francs à 2 fr. 30. Les manufactures paient leurs ouvriers de 1 à 2 francs dans la capitale et beaucoup moins en province. Quant aux femmes, elles touchent rarement plus d’un franc. Sans doute ces gens sont encore inexpérimentés dans la confection de nos produits, mais ce n’est là qu’affaire d’éducation. Sans doute aussi les marchandises ainsi fabriquées ne pourraient parvenir sur nos marchés que grevées des frais de transport, mais ces frais sont presque insignifians. Il est vrai enfin que l’ouvrier japonais n’a ni la vigueur ni la force de résistance des ouvriers français ou anglais. Mais l’entraînement atténuerait cette différence, qui d’ailleurs n’est pas du tout en proportion de la différence des salaires. En somme, pour le même prix, le Japonais ferait deux ou trois fois plus d’ouvrage : c’est le point essentiel.

Ajoutons que les embarras que soulèvent chez nous les questions ouvrières n’ont pas encore troublé l’Extrême-Orient, On n’y connaît encore ni les grèves, ni la Bourse du travail, ni le problème des trois-huit. Or, si légitimes que puissent paraître les revendications du quatrième état, elles n’en créent pas moins, dans la lutte internationale, une infériorité notable pour le pays où elles se manifestent.

En somme, le Japon devance déjà bien des pays qui, depuis des siècles, sont en contact avec l’Europe, comme l’Egypte, la Turquie ou le Maroc, A moins de supposer les rapports du gouvernement systématiquement faussés chaque année, ce que rien n’autorise à croire, il faut bien se rendre à l’évidence et convenir que toutes les indications fournies jusqu’ici s’accordent à établir une activité et une prospérité peu ordinaires. Les chiffres de la population prouvent d’ailleurs que cette croissance rapide n’a pas affaibli les forces vives du pays. De 1883 à 1893, la population s’est élevée de 37 452 000 âmes à 41 090 000, soit presque d’un dixième en dix ans.


VI

Les modifications dans l’organisation sociale et politique du pays prêtent davantage à la discussion : en cette matière, la vérité absolue est plus difficile à démêler. Les chiffres, à cet égard, ne sauraient fournir des argumens péremptoires. Encore donnent-ils cependant des indications précieuses. Ils établissent surtout la persévérance du gouvernement et de la nation.

L’organisation de la famille n’a pas sensiblement changé depuis 1854; elle est restée, dans ses traits essentiels, telle que la